Communiqué de presse
François Bouillon
7e ciel
Cabinet des dessins Jean Bonna
Après Jean-Michel Alberola (2006), Joël Kermarrec (2007), Annette Messager (2008) et Giuseppe Penone (2009), c’est au tour de François Bouillon, professeur de «dessin avancé» à l’Ecole des Beaux-Arts de 1996 à 2009, d’être invité à présenter son oeuvre dessiné dans le cabinet de dessins Jean Bonna.
Sculpteur et créateur d’installations éphémères mêlant photographies, assemblages, etc. et conçues comme «des notes manipulées», François Bouillon a également développé depuis une quarantaine d’années une pratique très nourrie du dessin, à laquelle nous avons choisi de consacrer cette exposition. Tracé au sol, esquissé sur un fragile papier du Népal ou sérigraphié sur altuglas et jouant des reflets et de la transparence du support, le dessin constitue une phase essentielle de son travail et de sa réflexion.
Composée de préférence de sept modules, chacune de ces séries naît d’une histoire, d’une fiction ou d’un petit jeu rituel, aux allures de jeux de mots comme «inouï-inuit», et observe un code de règles établies. Caractérisé par une grande économie de moyens, son oeuvre dessiné se décline dans des gammes de noirs et d’ocres et associe différents matériaux d’origine naturelle, tels que la terre, la pierre, le feu ou organique, ainsi que les plumes et les os, peut-être liés au milieu rural de son enfance. Elle met en scène des formes simples, «archétypales» c’est-à -dire des motifs que de nombreuses civilisations ont utilisés successivement et qui possèdent une qualité de permanence, essentielle à ses yeux.
Souvent géométriques, ces formes, qui comme le Y inversé désigne l’être humain dans les cultures Inuit ou Dogon, sont aussi dotées d’un fort pouvoir d’évocation symbolique et ont souvent conduit à souligner la proximité entre le travail de l’artiste et les arts premiers, qu’il collectionne: «Il s’agit pour lui de montrer que le primitivisme est là , partout où il ne croit pas être […] C’est ainsi que François Bouillon n’en finit pas d’aimer le primitivisme comme une aptitude toujours là , capable de faire apparaître dans la main de l’homme un objet à la limite de sa fonction, de l’ambiguïté de sa fonction» (G. Tosatto, cat. exp. Meymac, 1990).
Procédant de signes d’abord accumulés avec une large part d’improvisation et de hasard avant d’être organisés, ces séries ne s’arrêtent que lorsque l’artiste pense avoir interrogé les sens multiples de l’énoncé jusqu’à le vider de toutes ses possibilités. Avec pour titre un calembour ou une litanie conçue sur le modèle des formules magiques créées par l’enfant pour conjurer sa peur du noir et de la nuit, elles se nomment «Mantique de tact», «Inouï inuit», «ok ko», «Me-le», etc.
Sept séries datées des dix dernières années ont été retenues dans cette exposition:
— 7 taches au hasard (1999): compositions où s’instaure un jeu entre les lettres, les formes et les nombres.
— Atlas marocain: oeuvre colorée de voyage conçue à partir de l’apposition de l’empreinte de sa main, ensuite interprétée à l’aquarelle.
— Le Chant du bouc (2002): définition de tragédie. Phototypie repeinte et retouchée comme pour raviver son image, à la façon des Aborigènes du nord-ouest de l’Australie, qui à la fin de la saison sèche enduisent leur effigie d’ocre rouge et de colorants afin d’invoquer la pluie et la fertilité; et qui ici évoque les divers masques du récitant de la tragédie.
— Série noire (2005) est un ensemble conçu comme un roman policier noir, énigmatique quoique plus illustratif que d’autres séries.
— Le Désir traversant la mer rouge (2005): lettres à Joseph, un petit garçon qui réalisa un dessin, représentant un animal aux dents acérées, à partir duquel est née la série, dans laquelle sont disséminées des gouttes de bougies.
— Les Yeux brouillés (2009): série de 7 lavis sur PVC transparent, 7 fois la même trace formée par le doigt dans la peinture fraîche.
— Se ipsum pinxit, 18 rue de la Liberté (21 janv. 2010) est une oeuvre composée grâce à l’ombre de sa tête martelée sur du plomb, sorte de rituel auquel il sacrifie avant chaque exposition comme une manière de «se mettre au travail», une recherche d’intériorité qui l’aide à «faire le vide, se laisser aller et laisser venir les choses».
Avec pour thème central le déplacement, son oeuvre s’organise autour de voyages, de glissements de sens et de formes, infiniment régénérés par la polysémie des emblèmes et des signes. Toute en suggestion et en discrétion, elle fait de l’immatériel sa matière première avec cette ombre de tête martelée sur une feuille de plomb qui scande son oeuvre depuis les années 1984. Traquée au fil de cette quête de l’invisibilité et du silence des formes, cette ombre devient un trophée de chasse — au sens où marteler est entendu comme marquer un arbre avant son abattage — qu’il rapporte de ses voyages «aux quatre coins du monde».
Tantôt intéressé par l’ombre comme trace négative du corps tantôt par son pendant l’empreinte, l’oeuvre dessiné de François Bouillon se construit sur deux gestes fondateurs et récurrents liés à l’inscription de son corps et de sa marque dans la matière: marteler l’ombre de sa tête et imprimer l’empreinte de ses doigts dans l’ocre rouge du silastène (un dérivé de silicone compatible avec la laque et le vernis, ayant l’avantage de garder, inscrite dans sa masse, la trace empâtée du geste).