« 6 Streets / 12 Camel Toes » de Frank Perrin
Jusqu’à maintenant, Frank Perrin avait toujours organisé ses images en réseaux de lignes opérant leurs trajectoires dans un système horizontal ou diagonal. Le modèle en venait davantage du cinéma que de la photographie. Au-delà des sujets apparents — rues, défilés, joggers —, elles proposaient des panoramiques, des travelings dans des espaces immenses où les personnages minuscules signalaient, comme des funambules, des tensions et des directions. Sa nouvelle exposition bifurque en partie vers la verticalité et le statique.
Ce qui s’ajoute ici au déplacement latéral à la Ruscha, à la complétude spatiale à la Gursky, c’est un détour par le détail et le plan fixe, vers une sorte de sculpture ou d’architecture polychrome. Par la saturation, par l’alternance de plis et de fentes, par le passage du modèle au modelé, sa photographie intègre le zip de Newman, le cutter de Fontana sur un all over de couleurs électriques.
Confrontées à des images superbes de rues, les nouvelles photos s’intitulent «Camel Toes». Il s’agit d’entrejambes féminins moulés dans des slips ou des bodys de lycra, brillants et plissés, aptes à révéler une forme là où depuis toujours on s’est ingénié à faire croire qu’il n’y avait rien. Les photos sont d’un format plus petit et carrées, concentrées comme des icônes.
Au-delà des différences manifestes qu’introduit ce nouveau travail, il n’est pas discordant. Il montre d’abord la nature expérimentale des photos de Frank Perrin. Leur richesse formelle s’accorde à la complexité de notre monde. On le sait, son travail est constitué moins de séries que de «sections» d’un vaste projet très ambitieux intitulé «Post- Capitalisme». Il s’agit de recenser et d’explorer plastiquement les formes nouvelles qui ne cessent d’éclore autour de nous dans un cadre conceptuel, politique, sociologique, esthétique entièrement renouvelé. Le Post-Capitalisme, c’est vivre dans un même instant l’origine du monde et sa fin provisoire luxueusement bégayée. C’est une condition presque purement visuelle, où l’œil glisse sans cesse le long de masses et d’interstices. Dans un tel monde (le nôtre), les distinctions anciennes entre l’être et le paraître, entre le vrai et le simulacre, n’ont plus de signification. Les images de Frank Perrin identifient et enregistrent un nouvel état, une synthèse inédite qu’on pourrait appeler le «parêtre».
Surtout, ce que Frank Perrin trouve dans nos défilés, dans nos rues, aujourd’hui dans les «Camel Toes, ce sont les modèles d’un art qui serait absolument contemporain, d’un art qui ne se déroule plus selon la dialectique transmission / transgression propre à l’histoire et à la modernité.
Au sein du vaste régime citationnel sans drame ni jugement dans lequel nous vivons, il montre la circulation omnidimensionnelle des signes. Il le fait en photographe, en utilisant toutes les focales et les changements d’échelle ou de distance qu’imposent ses découvertes. C’est là qu’il rejoint notre recherche éperdue : dans l’extrême beauté, relier des être-là épars et successifs, construire des présences irréfutables.
Daniel Lesbaches
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Étienne Helmer sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
6 Streets, 12 Camel Toes