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5.5 designers

Marjolaine Macaire
Interview réalisée pour le n°15 : Design nØ Design d’Area revue)s(

Marjolaine Macaire. Le terme design est galvaudé. Malgré cela, le collectif de jeunes designers que vous êtes, peut-il encore lui donner une définition ?
5.5 designers. La définition couramment attribuée au design ne nous satisfait pas. C’est pourquoi, notre travail consiste justement à mettre des pratiques sur ce terme. Utilisé dans tous les sens, ce mot évoque, pour bien des gens, un courant et un esprit stylistique qui nous déplaisent. Or, nous refusons de nous confronter à des notions de style.

Le style n’a donc pas d’importance pour vous ?
5.5 designers. C’est une question révolue. Pour nous, le designer ne doit pas être cantonné à la question des choix esthétiques. Dans le cas contraire, le risque est qu’émergent des formes gratuites. Le designer devrait toujours être impliqué en amont du cahier des charges, car le produit mis en place doit découler d’une réflexion qu’il a menée, sans qu’il soit forcément, ni seulement, le porteur d’une notion de dessin.

Plus que le style, ce sont les idées qui fédèrent votre travail à tous les quatre ?
5.5 designers. Pour ce qui concerne notre groupe, il est un peu hybride : il se situe entre la structure d’une agence et une pépinière de créateurs. Certains designers ont une touche, quelque chose de l’ordre du style. Ce n’est pas ce que nous cultivons. Ce qui nous importe c’est que l’esthétique découle de l’approche.
Or, lorsque l’on fait un travail de groupe, on ne peut pas être dans une approche stylistique, parce que chaque individu aurait son propre style. C’est impossible de s’accorder sur une forme, sur une couleur, sur une épaisseur…
Le fait de s’inscrire dans une démarche rend les choses plus simples pour fédérer un groupe. Nous mettons en place des concepts, auxquels nous nous référons pour chacun de nos choix. Pour chaque produit, nous nous demandons si cela a un sens de dessiner un objet d’une certaine façon, en fonction de la démarche mise en place.

Est-ce l’usage qui prime dans votre démarche ?
5.5 designers. L’usage va de fait, son importance est acquise. Mais il y a des objets hyper pratiques qui sont ennuyeux. Si on se concentre sur des notions d’usage, on arrive à des objets qui sont ce que nous appelons “technocentrés”, qui ont une visée très technique et pragmatique. Toute la partie poétique, symbolique et sémantique que peut porter un objet est alors oubliée.
Notre travail ne se contente pas d’une simple mise en forme. Même si, mettre des objets en forme, c’est notre vocabulaire et notre support d’expression. Car l’objet est un super moyen de diffusion des idées. Il nous permet de réagir à l’actua-lité, de traiter de certains problèmes.

Qu’est-ce qui a motivé le projet Réanim ?
5.5 designers. Au départ, une réaction à cette idée trop répandue qu’il faut sans cesse créer pour apporter quelque chose de nouveau. Nous avons voulu questionner le sentiment de nouveauté et proposer des alternatives de consommation face au système établi. Nous voulions dénoncer le phénomène de l’obsolescence programmée, qui induit que, volontairement, on conçoit des objets d’une facture médiocre, en espérant qu’ils cassent le plus vite possible pour que d’autres soient achetés en remplacement. En règle générale, soit par le biais du cahier des charges, soit par stipulation officieuse, il est demandé au designer de faire en sorte que l’objet ait une durée de vie de trois ans, ou qu’il se démode à brève échéance. 

Vous ne voulez donc pas vous placer dans  cette lignée…
5.5 designers. Nous refusons d’être des pions qui participent à cette surconsommation. Il est bon que les gens puissent accéder à leurs désirs, mais il ne faut pas que ce soit au détriment de paramètres essentiels tels que des problématiques environnementales par exemple. Ce qui nous tient à cœur c’est d’opposer le concept de longévité à celui du jetable, d’augmenter l’espérance de vie des objets, et d’inciter, comme c’était le cas autrefois, à prendre soin des choses.

Pour le projet Réanim vous vous êtes associés au Secours populaire français. Comment s’est déroulé ce partenariat ?
5.5 designers. Nous avions besoin de meubles en quantité. Pour en récupérer nous avons organisé une campagne, affiches à l’appui, et les gens nous apportaient leurs objets cassés. Nous allions aussi dans les décharges, dans la rue, pour récolter autant que possible. Mais, afin de disposer d’un flux d’objets et de pouvoir se confronter à une notion de série, nous nous sommes associés à un partenaire qui en avait déjà un certain nombre. Nous sommes donc partis à l’aventure avec l’équipe du Secours populaire basée à Nîmes. Quotidiennement, des tournées étaient organisées à l’occasion de débarras de maisons. Nous suivions les camions.

Qu’avez-vous fait de tous ces objets abîmés ?
5.5 designers. Au cas par cas, nous avons soigné les objets et passé du temps à faire certaines réparations. D’autres avant nous s’étaient préoccupés de ce problème en réalisant des pièces uniques mais, en l’occurrence, nous voulions apporter notre regard de designers industriels. Nous avons filé la métaphore de l’hôpital et pratiqué “une médecine des objets” par l’application de méthodes systématiques. Le recours à l’univers de l’hôpital est très imagé, cela a favorisé une approche pédagogique. Pour éviter tout choix stylistique, nous avons instauré un protocole. Le vert est devenu le code de couleur du projet Réanim.

Comment avez-vous procédé ?
5.5 designers. Comme un médecin qui se doit de traiter chacun de ses patients. De surcroît, nous avions fixé pour règles de ne pas détourner l’objet, de restituer sa fonction en appliquant le moyen le plus radical et le plus simple possible, sans se préoccuper de son esthétique d’origine et en ne recourant qu’à notre pharmacie, caractérisée par le code vert prédéterminé.
Le processus impliquait de photographier chaque objet et de rédiger une fiche qui indique la raison pour laquelle on s’en était séparé. Exemple : une jambe est cassée. Seule la jambe de la chaise est réparée.

Quelle suite avez-vous donnée à ces travaux ?

5.5 designers. Le travail achevé, nous avons présenté la série de mobilier réalisée, fruit de ces interventions chirurgicales, sous forme d’exposition intitulée “Sauvez les meubles”, à la galerie de la Salamandre, à Nîmes. Le projet a été si bien reçu durant l’été 2003 que nous l’avons prolongé. En janvier 2004, nous avons lancé un kit de réparation et présenté des pansements pour meubles à l’occasion du Salon du meuble de Paris.

Des pansements pour meuble”, de quoi s’agit-il ?

5.5 designers. Au nombre de quatre, ils correspondent à des traumatismes ou à des maladies qui sont comme des épidémies : les casses sont récurrentes. Il n’y a pas tant de raisons pour lesquelles on se débarrasse d’une chaise, soit l’assise est cassée, soit c’est l’un des pieds… Nous avons donc mis au point une assise standard, qui permet de s’adapter à n’importe quelle chaise.
Une béquille peut substituer le pied, et un kit de greffe, qui se présentent sous forme de rondelles, permet d’associer des objets qui sont parfois désuets mais pas abîmés pour autant. Enfin, un kit de suture, à l’apparence d’un cordage vert fluo, permet de remplacer une porte.

Vous sentez-vous un rôle de garde-fous, celui de dire qu’il faut renouveler et repenser la façon dont on élabore les produits ?
5.5 designers. A chaque projet, nous nous posons la question de savoir pourquoi nous le mettons en œuvre, a quoi cela sert de faire un objet supplémentaire. La réponse est chaque fois différente parce que le contexte diffère également. Mais, la préoccupation de savoir comment on pratique le design et à quelle fin, reste vive. Bien souvent, c’est par la méthode même que l’on aboutit à un résultat qui se singularise. Le projet Réanim, sans parler directement de design, nous a permis d’aborder le thème de la consommation d’objets et de ses excès. Mais nous sommes davantage des perturbateurs qui posent des questions que des garde-fous.

Liens
www.cinqcinqdesigners.com

www.areaparis.com

    

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