D’une grande sobriété, l’espace scénique s’offre directement au spectateur qui rejoint son fauteuil. Il n’y a pas de rideau, ni d’éclairage recherché. Le corps de l’interprète est déjà là , immobile, dans un coin à droite, enroulé dans une couverture.
Une demi-heure plus tard, la lumière s’éteint. Un homme, à la manière d’un huissier ou d’un représentant des forces de l’ordre venu constater la mort effective d’une personne, contourne lentement avec un pinceau imbibé de liquide le peu d’objets soigneusement répartis dans l’espace : quelques vêtements, un livre, un étui, une coupelle bleue nuit, des cartons… Il finit par contourner le corps qui dort. Puis s’en va.
L’homme dans sa couverture beige ne bouge toujours pas. Le chant de la Callas se fait entendre faiblement. On aimerait augmenter le volume pour s’imprégner de la voix de la diva, être rempli par elle, sentir le contraste d’une spatialité animée avec l’immobilité interminable de l’interprète.
Malheureusement, la musique est réduite à l’équivalent sonore d’un poste radio de mauvaise qualité qui serait perçu dans une pièce adjacente.
Pour combler le sentiment de frustration, l’on a le temps d’inventorier les objets délicatement posés sur la scène selon un ordonnancement régulier, à la manière d’une grille composée de neuf éléments (corps inerte du danseur compris, réifié).
Lors du deuxième morceau de la Callas, la tête de l’interprète s’élève lentement. L’on reconnaît Raimund Hoghe. S’ensuit une remontée intégrale du corps qui révèle une croix rouge sur la couverture beige. S’agirait-il de l’évocation d’une tombe chrétienne souple et portative ou d’une couverture de feutre imprimée d’une croix, en clin d’œil à l’œuvre de Joseph Beuys ? Un tel revêtement fut en effet employé par l’artiste pour emballer un piano à queue, la couverture de feutre symbolisant pour lui la protection, le silence, le recueillement (peu après son accident d’avion, Beuys aurait été recouvert d’une tissu de feutre pendant plusieurs mois, le temps que ses blessures et ses brûlures ne guérissent).
Raimund Hoghe ouvre les bras en croix, puis les referme. Dans une lenteur extrême, il évolue avec un visage et un corps mortuaires. L’ascétisme général de la chorégraphie irrite par son caractère soporifique. Une économie de moyens et de gestes est revendiquée. Le son est toujours aussi bas et déceptif. Des extraits d’interviews font entendre la voix de la Callas.
Raimund marche, s’empare de l’étui métallique, l’ouvre, attrape les petites feuilles, une à une, et les jette, traversant toujours avec lenteur l’espace, tout en faisant mine de s’éponger délicatement.
Puis il chute au ralenti sur sa bosse, à plusieurs reprises, exprimant tour à tour lassitude et fébrilité. Il ôte sa chemise, change de pantalon, de genre parfois. Troque souvent ses vêtements, ses chaussures pour évoluer pieds nus ou en talons aiguilles. Longuement il médite devant la coupelle bleue. Prosterné devant cet élément aqueux, récurrent dans son œuvre chorégraphique, il se lave le visage.
A nouveau, il se retrouve bras en croix avec sa couverture, puis transforme celle-ci en tapis de méditation. Ensuite, il s’emballe en prenant l’attitude d’une momie égyptienne.
Il se relève, enfile de nouveau ses talons aiguilles. Sur fond d’un « Si tu ne m’aimes pas, je t’aime… », il effectue une fente majestueuse, et tient la posture longtemps, puis renouvelle cette pose dans un sens opposé.
Il enfile des lunettes noires. Toujours sur fond de Carmen de Bizet, il se recouvre de carton. Lors d’un « Prends garde à toi », un pseudo-spectateur, Emmanuel Eggermont, le jeune danseur invité, qui était assis au premier rang, entre en scène, une rose à la main. Après une marche interminable, le danseur hiératique et sculptural s’approche des cartons et ôte délicatement les pelures en en laissant une sur le corps encore allongé de Raimund. On entend à ce moment la diva se plaindre avec son accent italien : « Le vrai amour, la grande loyauté, hélas je ne crois pas que ça existe dans la vie ». Emmanuel Eggermont badigeonne la robe de Raimund Hoghe toujours au sol à l’aide du pinceau et du petit pot de toute à l’heure. Puis il se retire.
Raimund Hoghe se lève, change encore de tenue, ramasse les objets de la scène dans deux petits sacs en papier, vide l’eau de la coupelle bleue sur le sol avant de la ranger. Le ménage achevé, il attend dans un coin avec ses deux petits paquets, puis jette de façon pathétique les lingettes ramassées en fixant les yeux au ciel.
C’est la fin. On applaudit mollement. Raimund Hoghe et le danseur bougent enfin naturellement. Leur sang semble enfin affluer dans leurs veines, ils demandent au public d’applaudir la Callas. Emmanuel Eggermont dépose la rose sur le livre consacré à la diva. La Callas peut désormais dormir en paix après cette liturgie léthargique rendue en son honneur… et le public se réveiller.
Horaires : 21h, dimanche à 17h, relâche le lundi
— Conception, chorégraphie et danse : Raimund Hoghe
— Collaboration artistique : Luca Giacomo Schulte
— Danseur invité : Emmanuel Eggermont
— Lumière : Raimund Hoghe et Amaury Seval
— Son : Patrick Buret
— Musique : Maria Callas chante des airs de Bellini, Donizetti, Verdi, Spontini, Giordano, Gluck, Massenet, Catalani, Saint-Saëns et Bizet enregistrés entre 1949 et 1974.
— Photographie : Rosa Frank
— Administration : Arnaud Antolinos Julie Bordez
— Production : Compagnie Raimund Hoghe