Par Pascaline Vallée
La motion votée le 20 janvier 2007 par le CFHA (Comité Français d’Histoire de l’Art) met en garde contre «les risques sur le plan de l’éthique de la profession» contenus dans le projet du Louvre à Abou Dhabi. Le comité s’est dit réjoui de «l’élargissement des collaborations internationales dans le domaine des musées», mais craint «l’effet cumulatif» des prêts, qui «risque de porter atteinte aux noyaux de chefs-d’œuvre qui font le renom et l’identité des collections».
Une charte encadrant les collaborations internationales devrait par ailleurs être mise en place, afin de «prévenir les conflits d’intérêt, garantir aux scientifiques une maîtrise réelle du choix des œuvres prêtées et prendre en compte la cohérence des circuits des collections permanentes».
> Motion votée à l’assemblée générale du Comité Français d’Histoire de l’Art du 20 janvier 2007.
La communauté des historiens de l’art a suivi avec la plus grande attention la controverse relative au projet d’Abu Dhabi. Elle se réjouit qu’un débat public sur la question des prêts d’œuvres d’art des collections nationales avec contreparties financières, ait enfin lieu. Le Comité français d’histoire de l’art se félicite de l’élargissement des collaborations internationales dans le domaine des musées, en particulier avec les pays non-occidentaux; mais il considère que les modalités du projet actuellement à l’étude présentent des risques sur le plan de l’éthique de la profession.
Le Comité français d’histoire de l’art a pris acte de la mise au point apportée par M. le ministre de la culture le 16 janvier dernier, et l’en remercie, notamment pour son refus sans ambiguï;té de s’engager dans la voie des propositions du rapport de MM. Lévy et Jouyet concernant l’inaliénabilité des collections. Néanmoins, des préoccupations légitimes demeurent, que le Comité français d’histoire de l’art, en tant qu’organisme porte parole du milieu scientifique, souhaite exprimer.
Par rapport aux opérations de coopération internationale menées jusqu’ici, le projet d’Abu Dhabi représente un saut quantitatif considérable, qui engage le nom du Louvre pour vingt ans et des prêts des musées français pendant dix ans et qui donne lieu à des contreparties financières d’un montant sans précédent. Un tel accord débouchera obligatoirement sur des prêts d’œuvres majeures des collections nationales ou territoriales. Ce type d’opération s’ajoute à toutes celles engagées par ailleurs et de nouveaux projets semblent envisagés, qu’une «agence de coopération internationale» sera chargée de conduire. L’effet cumulatif risque de porter atteinte aux noyaux de chefs-d’œuvre qui font le renom et l’identité des collections. Le CFHA souligne qu’il est inexact de dire que ces opérations se justifient par les ressources inépuisables des réserves, qui renferment pour l’essentiel, notamment depuis les grands travaux dans les musées français, des collections d’étude. Ce sont toujours les mêmes cent ou deux cents oeuvres dont le prêt est sollicité.
Le Comité français d’histoire de l’art souhaite attirer l’attention sur les charges nouvelles que ces projets représentent pour les équipes scientifiques des musées, souvent trop restreintes, confrontées par ailleurs à la multiplication des activités temporaires. De plus, il rappelle que la communauté scientifique de notre pays se sent actuellement de plus en plus marginalisée dans la direction des grands établissements, et demande une meilleure reconnaissance de la profession des historiens de l’art.
Il s’inquiète des effets pervers que le recours ainsi ouvert aux crédits étrangers, en échange du prêt de collections, pourrait susciter sur le montant des budgets publics mis à disposition des institutions culturelles, notamment dans les collectivités territoriales. Il insiste sur la nécessité de diriger ces crédits uniquement sur les opérations d’investissement, notamment d’acquisition et de restauration.
Il ne peut qu’accueillir favorablement la mise au point, par des professionnels, d’une charte encadrant les collaborations internationales. Cette charte devra prévenir les conflits d’intérêt, garantir aux scientifiques une maîtrise réelle du choix des œuvres prêtées et prendre en compte la cohérence des circuits des collections permanentes. Enfin le Comité français d’histoire de l’art demande que la compétence scientifique soit représentée au niveau de la direction de la future agence.