Tjeerd Alkema, Jean Azemard, Daniel Dezeuze, Vladimir Skoda, Arnaud Vasseux, La Cellule (Becquemin & Sagot)
2D 3D
Les œuvres réunies dans le cadre de cette exposition ont en commun le volume et une pratique constante du dessin. Or il faut rappeler que le passage de la bidimensionnalité à la tridimensionnalité n’a jamais été une évidence. D’un côté, des volumes, des reliefs, des aspérités de la matière et un rapport indéniable à la confrontation physique. De l’autre, une planéité dans les supports, une importance accrue pour le regard, puis la gestuelle. Deux façons d’appréhender la réalité qui, de prime abord, semblent totalement hermétiques l’une à l’autre. Pourtant, des articulations restent palpables, de multiples connivences se devinent. Mais quelles sont-elles ?
Le « dessin » n’est pas nécessairement le projet d’une sculpture, ni sa mémoire; il peut se développer dans un espace spécifique, selon des tensions et des figures qu’il recherche aventureusement dans les limites que lui imposent ses supports bidimensionnels. Il peut aussi revenir sur la question de la forme et de sa mise en
perspective, puis interroger cette dernière en fonction de critères topologiques. À l’inverse, le volume ne se pense pas comme le simple achèvement de ce que le
dessin aurait préfiguré. Son matériau, sa situation au regard de l’espace et donc du spectateur permettent de construire des univers parallèles, tout comme les modalités de sa mise en œuvre changent radicalement, allant du plus simple au plus sophistiqué.
Pour l’exposition 2D 3D, les dessins présentés maintiennent la possibilité d’un lien avec un objet tridimensionnel: les sphères de Vladimir Skoda, les anamorphoses de Tjeerd Alkema, les objets fantasmés d’Emmanuelle Becquemin et de Stéphanie Sagot, ou encore les rochers chinois de Daniel Dezeuze se perçoivent comme des formes en « réserve » de dessins.
Cela vaut aussi pour l’œuvre d’Arnaud Vasseux qui explore les modes d’apparition d’une trace. Les grandes encres flottantes sont des captations de surface, faisant référence à un mécanisme instable, presque archaïque et anachronique. Les empreintes d’encre et de goudron dessinent d’imprévisibles univers là où les sprays procèdent d’un principe très différent, l’objet étant dessiné par la projection d’un brouillard de peinture noire mate, le résultat s’apparente alors à un rendu photographique. Les protocoles qui président à la réalisation des sculptures d’Arnaud Vasseux peuvent être comparés à ceux des dessins. Deux œuvres privilégient l’idée d’empreinte. La première, faite de résine, évoque un toit parasité par des taches de lichen; la seconde semble animée de tensions et de torsions au moyen d’une masse contrainte et pliée en plâtre blanc. Le dessin se positionne ainsi à la frontière entre l’empreinte et le pli, c’est-à -dire entre la surface qui accueille et la surface qui agit.
Faisant l’objet d’une publication dans L’art de la solitude (Édition Galerie Athanor, 2000), un recueil de textes et de dessins de Daniel Dezeuze, les Rochers chinois présentés à la galerie AL/MA s’inspirent des formes tourmentées des pierres issues des eaux du lac Taï. Creusées de multiples cavités, remarquables par la richesse des aspérités et des formes auxquelles rien ne peut s’identifier, l’artiste s’affranchit de toute idée de représentation et rend ambigu ce qui distingue les surfaces planes des reliefs. À leur manière, les trois Pavillons (2002) soulèvent aussi cette ambiguïté, rappelant que la simplicité de la forme ne signifie pas la simplicité de l’expérience de perception.
Les sphères en acier posées au sol de Vladimir Skoda supposent plutôt qu’on les envisage pour leur physicalité, c’est-à -dire pour leur masse et leur consistance. Même si le poli réfléchissant de l’acier donne l’illusion d’une certaine légèreté, la réalité de l’objet s’impose brutalement, car celui-ci reste difficile à déplacer. Chez Skoda, la sphère n’est pas qu’une forme posée au sol; elle est aussi sphère céleste et mouvement de rotation, comète ou gaz, c’est-à -dire un amalgame de temps et de matière qui rend possible l’intervention du dessin, en jouant sur ce qui se noue entre intérieur et extérieur, entre mouvement, vitesse et fixité, entre plans différents. Le dessin redouble et multiplie les recherches, il s’expérimente avec une légèreté et une vivacité impossibles dans l’exercice de la sculpture. En acceptant la proposition de La cellule composée d’Emmanuelle et Stéphanie Sagot, la galerie AL/MA présente un objet en mohair, une cagoule rose, faisant partie de la série Les fétichistes du mohair, qui devra être portée de manière aléatoire 15 mn par jour par la galeriste. Dans le cadre de cette performance, la photographie témoigne de la réalité d’une expérience.
Les sculptures comme les dessins de Tjeerd Alkema ont déjà été présentés par la Galerie AL/MA. Cette fois, c’est leur rapprochement qui est mis en avant. Il s’agit en premier lieu d’explorer les possibles que suggère le dessin, en particulier en ce qu’il laisse présager d’une sculpture, c’est-à -dire en figurant son programme perceptif ou en esquissant des perspectives qui deviennent des motifs de transition entre la bidimensionnalité et la tridimensionnalité. On retrouve dans le travail de Jean Azémard, conformément à un héritage légué par Supports/Surfaces, une ambivalence entre la deuxième et troisième dimension. Les dessins aux textures et aux reliefs complexes rappellent le « papier collé », parfois des trous, des inversions ou des torsions sont mis en avant. À l’extrême du dessin ou de la sculpture, des spécificités peuvent se dégager. Chez Jean Azémard toutefois, mille variations, jeux, débordements ou resserrements auront noué le dessin aux volumes, jusqu’aux dernières heures de sa vie, où l’épuisement le guetta et l’obligea à travailler le papier uniquement pour ses mises en relief.
Vernissage
le 2 octobre à 18h