par Elodie Palasse-Leroux
Chez Christie’s, la vente «Impressionnist & Modern Art» a rapporté, pour 78 lots vendus, plus de 491 millions de dollars : une première depuis une vente historique qui avait vu, en mai 1990, la maison rivale Sotheby’s décrocher un modeste pécule de 286 millions de dollars.
Un Picasso retiré de la vente au dernier moment
Une certaine odeur de scandale, loin de nuire aux protagonistes, aurait au contraire, dit-on off the record du côté de certains professionnels, concouru à la folie ambiante. En effet, certaines des toiles vendues avaient récemment été restituées aux familles des propriétaires spoliées sous le régime nazi. L’une d’entre elle a même été retirée de la vente in extremis, le Portrait d’Angel Fernandez de Soto de Pablo Picasso, issu de sa période bleue (daté de 1903). Quand on sait qu’il était estimé à 60 millions de dollars, on n’ose imaginer le total qu’aurait atteint la vente s’il n’avait été retiré !
C’est un juge new-yorkais, Jed S. Rakoff, qui a pris la décision de suspendre temporairement la vente, afin que soit menée à bien l’enquête exigée par Julius H. Schoeps, héritier du banquier berlinois Paul von Mendelssohn-Bartholdy. Schoeps affirme que ce dernier aurait été contraint, sous la menace des nazis, de vendre le portrait, avant la Seconde Guerre mondiale. Il était alors à la tête d’une des plus grandes banques privées allemandes, et possédait une collection d’art estimée comme étant l’une des plus belles d’Europe. Il base son accusation sur le fait qu’aucune des somptueuses œuvres (de Picasso, Van Gogh, Renoir, Monet…) n’avait été vendue avant 1933, preuve évidente selon lui que le Portrait d’Angel Fernandez de Soto a été cédé sous la contrainte.
Déposée à peine quatre jours avant la vente, la plainte a littéralement ahuri les représentants du vendeur (la fondation d’art de Sir Andrew Lloyd Webber, célèbre créateur de comédies musicales, qui l’avait acheté en 1995) et de la maison de ventes Christie’s, qui se sont refusés à tout commentaire. La plainte a automatiquement déclenché l’enquête, et donc suspendu la vente, ce qui ne serait partie remise.
Des records, encore des records…
En dépit de cette «tache sombre», la vente n’en restera pas moins dans les annales : de nouveaux records ont été enregistrés.
Notamment par Gauguin, qui a emporté 36 millions de dollars pour L’Homme à la hache, ou Egon Schiele 20 millions avec Single Houses.
Le marteau s’est abattu à 34 millions pour une Scène de rue berlinoise de Kirchner (vendue par Anita Halpin, un des membres directeurs du Parti communiste britannique)
Quatre œuvres de Gustav Klimt se sont vendues pour la somme globale de 192 millions de dollars, dont 78,5 millions de dollars (prix marteau, soient 87,9 millions avec les frais) pour le seul Portrait d’Adele Bloch-Bauer II. On se souviendra que ces œuvres, confisquées par les nazis à la famille Bloch-Bauer, avait été récemment et à grand bruit restituées par le gouvernement autrichien à l’héritière des propriétaires originaux.
Pour ajouter encore une pincée de mystère, le fait qu’une autre toile de cette collection, le Portrait d’Adele Bloch-Bauer I, ait été vendue l’été dernier pour l’ahurissante somme de 135 millions de dollars (au cours d’une transaction privée) a certainement rendu l’atmosphère plus électrique encore…