Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles. Le soutien de l’État à la culture est une tradition ancienne en France. Elle assigne à l’État la double vocation de garantir la qualité d’une offre culturelle diversifiée et l’égal accès de tous à la culture. Votre budget pour 2004 s’inscrit dans cette tradition. Il tient largement les engagements pris l’an passé. Désavouant ceux qui prédisaient un désengagement de l’État, il progresse de 5,8 % à structure constante, consacrant ainsi la culture comme l’une des priorités du Gouvernement.
Dès votre arrivée rue de Valois, vous avez manifesté votre volonté d’assouplir la rigidité structurelle des dépenses du ministère. L’effort de maîtrise est réel : les dépenses de personnel ne représentent plus que 20 % du budget contre 21,6 % en 2003.
Mais votre ministère paye aujourd’hui des années de création de nouveaux établissements publics, essentiellement à Paris, qui sont de véritables tonneaux des Danaï;des.
M. Patrick Bloche. Le Centre Pompidou !
Mme la Rapporteure pour avis. Les subventions de fonctionnement accordées aux établissements publics représentent 26,2 % de votre budget.
Seuls un effort continu de rationalisation des emplois et une maîtrise des coûts de fonctionnement permettront de desserrer l’étau budgétaire.
Le budget pour 2004 poursuit l’opération de vérité engagée l’an dernier pour les dépenses d’investissement. Après une année 2003 marquée par la résorption des crédits de paiement reportés, il ouvre le volume de crédits nécessaires pour couvrir les besoins d’investissement réels du ministère. Les crédits de paiement disponibles augmentent de plus de 31,7 %.
La nouvelle politique budgétaire du ministère se résume ainsi : mieux dépenser, mieux décider et responsabiliser.
— Mieux dépenser, en s’assurant que les crédits votés sont effectivement dépensés et non pas seulement destinés à gonfler le budget. En 2003, la consommation des crédits, notamment d’investissement, a été améliorée de manière significative : le ministère prévoit une dépense de 2 560 millions d’euros, contre 2 400 en 2002.
— Mieux décider, en renforçant la déconcentration des crédits afin d’attribuer les subventions au plus près du terrain. 65 % des crédits sont ainsi déconcentrés.
— Enfin responsabiliser, en poursuivant l’effort de maîtrise des dépenses et en donnant plus d’autonomie à certains services qui deviendront soit des services à compétence nationale, comme la Manufacture de Sèvres, soit des établissements publics, comme le musées d’Orsay et Guimet.
La hausse des crédits pour 2004 s’inscrit dans une logique de sincérité et d’efficacité, qui permet de retrouver des marges de manœuvre que la gestion précédente avait singulièrement réduites.
Elle traduit d’abord des priorités. La priorité accordée aux établissements publics correspond à la volonté de les responsabiliser. Celle donnée aux dépenses d’investissement intervient après la forte réduction opérée en 2003. Les autorisations de programme sont orientées en priorité vers des partenariats publics ou privés, ce qui va dans la bonne direction.
L’Etat doit désormais plus aider à faire que faire tout seul.
En revanche, la priorité accordée au spectacle vivant et à la musique, dont les crédits d’intervention représentent déjà plus de la moitié de ceux du ministère, ne fait que renforcer le déséquilibre existant avec les grands oubliés que sont l’action internationale, l’éducation artistique et les arts plastiques.
Rappelons que le budget du spectacle vivant a déjà augmenté de 8 % en deux ans. Il faut certes faire des choix, mais je me demande s’il faut donner invariablement la priorité aux mêmes secteurs, même si je me réjouis que la jeune création du spectacle vivant soit encouragée en 2004.
Je salue le rééquilibrage des crédits entre la capitale et les régions, que traduisent la déconcentration des crédits et les choix d’investissement : les chantiers en région, cofinancés avec les collectivités locales, représenteront 59,7 % du total en 2004. Un déséquilibrage demeure, mais Paris est une capitale culturelle.
J’ai souhaité consacrer la seconde partie de mon rapport au soutien public à la création contemporaine. Je l’ai fait d’abord par passion, je dois le dire, mais aussi par solidarité envers les créateurs d’art contemporain, éternels parents pauvres du budget de la culture qui ne disposent d’aucun syndicat ou groupe de pression pour se faire entendre. Et par conviction citoyenne : l’art contemporain donne à voir et à entendre une libre interprétation de la réalité. Il remet en cause nos évidences et crée des imaginaires et des transcendances mystérieuses. C’est toute la vitalité de notre société qui se mesure à cette création.
C’est la délégation aux arts plastiques qui soutient la création contemporaine sous toutes ses formes. Elle définit la politique d’acquisition et veille à la diffusion du patrimoine. Elle assure la tutelle du Centre national d’art plastique, qui lui-même gère le Fonds national d’art contemporain et le Fonds d’incitation à la création. Elle supervise également les sept écoles nationales d’art et les trente-sept centres d’art. Enfin, elle entretient un partenariat privilégié avec les fonds régionaux d’art contemporain.
Si ces institutions sont peut-être trop nombreuses, leur synergie est extrêmement intéressante. Acquérir des œuvres contemporaines, c’est enrichir le patrimoine, mais également défendre le marché de l’art, qui lui-même entretient l’activité des galeries, lesquelles soutiennent les jeunes artistes.
Mais les dotations pour 2004 marquent le pas. Elles s’établissent à moins de 5 % du budget total du ministère. L’on peut espérer que la loi Aillagon sur le mécénat donne une impulsion nouvelle au financement de l’art contemporain. Les lieux d’exposition concourent à la diffusion des œuvres, mais le vecteur le plus démocratique est la télévision. Malheureusement, tant que les chaînes publiques seront dépendantes de la publicité, elles ne pourront assumer leur mission de démocratisation culturelle.
À chaque époque son art, à l’art sa liberté : telle pourrait être la devise de plusieurs de nos institutions. À Paris, le Palais de Tokyo, ouvert en janvier 2002, se veut un lieu de vie et de liberté. Il expose les démarches artistiques les plus singulières dans des espaces ouverts de midi à minuit et qui fonctionnent comme une place méditerranéenne, fluctuant au rythme des visiteurs. Cette association loi 1901 est installée dans des bâtiments publics et financée à 48 % par l’État. Le Palais de Tokyo séduit certes, mais il heurte aussi : comment en effet, comme le disent ses directeurs, traduire le bouillonnement créatif de notre époque sans prendre de risques ? Et n’est-ce pas le propre de toutes nouveauté que d’être contestée ? Le ministre de la Culture souhaite élargir ses missions pour présenter à un public plus large les œuvres majeures du Fnac et du Centre Pompidou.
D’autres de ces institutions sont les fonds régionaux d’art contemporain. Les Frac sont l’emblème de la politique française de décentralisation culturelle. Subventionnés par l’État et les régions, ils ont pour vocation d’enrichir le patrimoine et de le présenter à la population. Les directeurs jouissent d’une grande liberté d’initiative et proposent des thématiques, comme les « Instants paysagers » d’Alsace, qui insufflent ce supplément d’âme indispensable à l’art contemporain. 500 000 visiteurs sur l’année et 287 manifestations ont consacré le succès des Frac. L’État a tenu à leur rendre hommage en fêtant leur vingtième anniversaire. Ils ont permis d’acquérir un patrimoine de qualité avec un budget très modeste. Le ministre a, d’autre part, engagé un vaste programme de construction pour les Frac de deuxième génération.
Enfin, créée en 1970, la Villa Arson, à Nice, est une institution nationale d’art contemporain à vocation internationale unique en son genre. Elle réunit une école nationale supérieure d’art, une centre national d’art contemporain et une résidence d’artistes. Cette synergie est exceptionnelle. L’école forme environ 200 étudiants. La recherche plastique et l’expérimentation des dernières technologies numériques s’y conjuguent avec la pratique, des expositions d’œuvres réalisées soit avec les professeurs, soit avec les artistes en résidence. Le financement de la Villa est assuré à 80 % par l’État et pour le reste par les collectivités locales. Malheureusement, faute de travaux, la Villa est privée depuis plusieurs années d’un théâtre de 300 places.
Enfin, comment ne pas parler du mouvement associatif ? La petite équipe du château de Villeneuve, dans les Alpes-maritimes, associe élèves et professeurs au travail des artistes en résidence pour explorer la cité historique de Vence. À Marseille, le bien nommé bureau des compétences et des désirs joue un rôle de producteur et de médiateur entre les artistes et les commanditaires ; son activité crée des liens entre l’art contemporain et la société.
Cependant, malgré les efforts de tous les acteurs et la qualité de l’enseignement spécialisé, la majorité de nos concitoyens ne s’intéressent pas à l’art contemporain. Ainsi que vous l’avez dit, Monsieur le ministre, l’art contemporain s’inscrit dans une chronologie qu’il faut connaître pour apprécier. On devrait apprendre à voir comme on apprend à lire. Picasso disait : « L’art, c’est comme le chinois, cela s’apprend ». Tant que l’art ne sera pas inscrit dans les programmes scolaires généraux, tant que le cursus d’histoire de l’art à l’université ne sera pas sanctionné par une agrégation, toute augmentation du financement public ne servira qu’à soutenir l’activité artistique, et non à démocratiser la culture.
Le budget pour 2004 montre que les engagements de l’an dernier, tant en matière de moyens que de sincérité des comptes, ont été tenus. Les priorités retenues peuvent, bien entendu, prêter à discussion, mais le budget traduit indéniablement la volonté de responsabilité du ministre. C’est pourquoi la commission des affaires culturelles donne un avis favorable à son adoption (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).