Présentation
Rédacteurs en chef : Nicolas Roméas, Valérie de Saint-Do
Cassandre n° 73. Résonances (1)
Editorial de Nicolas Roméas
«Non, non, non. Nous ne ferons pas un numéro spécial consacré à Mai 68.
Pas de commémoration. Très peu pour nous. Cela signifierait que nous sommes dans la nostalgie, idée qui ne nous effleure pas…
Cela pourrait aussi signifier que nous nous abaissons à répondre à des propos de campagne électorale (comme on dit des propos de bistrot) vides de sens et inconséquents. Ce n’est pas notre style.
Nous ne sommes dans aucune nostalgie.  Â
Nous sommes dans un combat pour le présent et l’avenir, en une période très périlleuse de l’Histoire.
Nous ne répondons à personne, car il n’y a là personne à qui répondre. Non, nous nous adressons ici aux générations nouvelles et à ceux qui savent que cet esprit d’ouverture, de curiosité et d’invention — qui n’est figé dans aucune époque particulière — exista et doit exister en tout temps. Ceux qui savent qu’il s’agit de la qualité humaine la plus précieuse.  Â
Nous parlerons d’esprit de lutte, de la révolte de l’intelligence contre la pesanteur de l’égoïsme, contre la bêtise, contre l’utilitarisme obtus et suicidaire auquel s’abaisse aujourd’hui la grande majorité des dirigeants du monde occidental.  Â
Nous parlerons de ce que nous aimons, de ce que nous avons toujours aimé, de cet élan de vie qui traverse les plus beaux moments de l’Histoire et construit des relais, visibles ou non, entre les générations et entre les siècles.
Des passerelles pour l’avenir.
Nous parlerons de ce pour quoi nous allons continuer à lutter, avec vous.
Nous aimons la révolte et l’intelligence, ça oui. Nous aimons l’intelligence et la révolte de Rabelais, celles de Montaigne, de Rimbaud, de Charles Fourier, de Michaux, de Cendrars, celles de Foucault, Bourdieu, Deleuze, Derrida, de Jean Vilar. Celles aujourd’hui de René Schérer, Albert Jacquard, Didier Éribon… Et récemment, aussi, cette drôle de révolte des Ours.
Car nous voulons ici rappeler que cette révolte et cette intelligence existent bel et bien aujourd’hui et qu’il faut y être attentif. Car c’est là que se construisent nos vrais espoirs pour l’avenir.
Aimer l’intelligence et la révolte, ça n’est pas s’attacher à un moment précis de l’Histoire, c’est reconnaître leur valeur pour l’être humain en toute civilisation, en tout lieu et en toute époque.
Tout ne fut pas fertile en 68, évidemment.
Mais ce qui reste extrêmement précieux dans cet instant de dialogue et de générosité retrouvée, dans cette exceptionnelle fenêtre de l’histoire qui retrouvait à sa façon la flamme de la Commune, ce sont les liens qu’elle a permis de renouer entre des pans de la société beaucoup trop étanches les uns aux autres.
Pour ce qui est du théâtre, la prise de conscience éclata le 25 mai 1968 avec la déclaration de Villeurbanne, signée par des personnalités aussi différentes que Francis Jeanson ou Roger Planchon, qui reposait clairement les responsabilités de l’artiste dans la société.
On peut y lire notamment :
« Le viol de l’événement a mis fin aux certitudes de nos fragiles réflexions. Nous le savons désormais, et nul ne peut plus l’ignorer : la coupure culturelle est profonde. [..] C’est notre attitude même à l’égard de la culture qui se trouve mise en question de la façon la plus radicale. Quelle que soit la pureté de nos intentions, cette attitude apparaît […] comme une option faite par des privilégiés en faveur d’une culture héréditaire, particulariste, c’est-à -dire tout simplement bourgeoise. »
C’est ce chemin qu’il s’agit de poursuivre, en dehors de toute nostalgie.»