Qui dit «Réalités nouvelles» fait aujourd’hui penser à la création numérique, aux photographies retravaillées ou aux poupées de designer telles qu’on les trouve aujourd’hui notamment dans les galeries de la rue Louise Weiss, à la pointe de l’art contemporain.
Or, le «Salon des Réalités nouvelles» se déroule, pour sa 60e édition, au Parc Floral de Vincennes. Entre peinture et sculpture, tableau et plateau, l’organique et la géométrie précise, le socle d’artiste ou celui de l’organisateur, entre légèreté et lourdeur, tonalité neutre et couleurs fortes, entre continuité et rupture: le «Salon des Réalités nouvelles» réunit les transgressions et les conformismes en donnant une place à 400 artistes qui travaillent dans l’Abstraction.
«Nous sommes un salon à l’ancienne», explique le Secrétaire général Joël Trolliet. Les membres du comité d’organisation exposent eux aussi des œuvres au Salon. Exposants et organisateurs, «tous artistes et tous bénévoles», payent leurs 150 euros de cotisation.
Pour la 60e édition du Salon, le comité a choisi 16 invités d’honneur, des artistes qui ont depuis longtemps fait leurs preuves, incluant Karel Appel, Pierre Soulages, Jacques Busse, Albert Irvin, Jean-Pierre Rives et Aurélie Nemours, chacun présent avec une œuvre dans le couloir central.
Si on regarde aujourd’hui des œuvres figuratives, on y cherche souvent des effets abstraits. Commençons à l’envers par la question: qu’en est-il ici de la figuration dans l’abstraction? Les œuvres qui montrent des traces de représentation du corps humain sont peu nombreuses, mais présentes. Les tableaux et sculptures qui appellent des souvenirs de paysages sont plus abondantes. Dans une peinture de John Myers, une tempête du Sahara semble écraser un paysage provençal.
La toile traditionnelle reste le support de prédilection, mais son éclatement n’est pas rare. Un certain nombre de tableaux cherchent encore à faire disparaître leur matière picturale au profit d’un effet perceptif, à la manière de l’invité d’honneur Cruz-Diez.
Pour d’autres œuvres, qui se font rares, c’est précisément cette matière qui fait œuvre. Ce ne sont pas tous les artistes qui ont su éviter ce qui reste le grand danger de l’abstraction, l’arbitraire. On trouve là une réunion d’œuvres très diverses qui ressemble à une exposition d’art contemporain telle que se l’imagine le grand public. Ici, où la peinture prédomine, la phrase selon laquelle une sculpture est ce sur quoi on bute lorsqu’on recule pour mieux voir un tableau est souvent vraie.
On peut, dans ce contexte, se demander si les organisateurs considèrent la question du socle comme dépassée ou bien – la plupart exposent ici des peintures – s’ils n’y sont pas très sensibles.
Certaines des œuvres les plus intéressantes sont difficilement classifiables. Ainsi un chromatogramme numérique de Poirot Matsuda réunit un cube et une toile peinte: peinture ou sculpture? Le Jardin vertical (2005) de Kumika Nakajima pose une difficulté similaire: des vers en tissu y sortent d’une toile peinte. «Tableau» s’entend ici comme ce qui peut – au moins en partie – s’accrocher au mur. Agnès Gauthier-Chartrette montre une série intéressante de trois gravures où des effets perceptifs sont au service de l’ensemble au lieu d’être une fin en eux-mêmes. Il y a encore des œuvres statiques qui font semblant d’être en mouvement, comme un tableau d’André Stempfel, dans lequel un bout de bois simule un passage dans une toile peinte.
Le jury a attribué deux prix. On peut se demander quels ont été les critères pour ce choix qui reste, à vrai dire, un peu tiède. Le Prix Canard-Duchêne pour une œuvre à tendance constructiviste, est attribué au peintre Japonais Rémi Matsukura. Le peintre Serbe Saula Mile reçoit le Prix Marin pour une œuvre à tendance lyrique. Les œuvres récompensées ne sont pas parmi les plus surprenantes et on aurait pu espérer qu’un jury d’artistes risque plus que cela.
Pépinière (2004), une structure métallique richement colorée activant la lumière par un jeu d’ombres sur le mur de l’exposition, réalisée par Antoine Petel, présent au Salon pour la première fois, aurait, par exemple, été un choix plus intéressant.
Choisir la fraîcheur de l’œuvre de Louis Chagnon ou d’un artiste qui se libère du format traditionnel du tableau aurait été un signal plus soutenu. Et là encore, pourquoi ne pas choisir une «sculpture»? Peut-être parce qu’elles ne sont pas toujours montrées sous leur meilleur jour dans ce Salon. Ainsi la sculpture Les 3 sœurs, d’Adeline Breton, a beaucoup plus de force dans un environnement naturel (comme elle apparaît dans le catalogue) que dans le Salon. D’autres œuvres auraient gagné à avoir plus d’espace.
Peut-être est-ce la charge d’une ambition trop grande – montrer l’Abstraction «dans tous ses courants et ses marges» – qui provoque des fissures qui risqueraient presque de tout faire tomber.
Klaus Speidel
Le soixantième Salon des Réalités nouvelles, héritier de «l’Abstraction dans tous ses courants et ses marges», est animé par des artistes et permet «chaque année au plus grand nombre d’exposer».
Partant de là , on s’attend à un joyeux bazar de formes biscornues et de textures bizarres, auxquelles s’ajouteraient, les avancées technologiques aidant, des pièces multimedia, multiconcept et multifaces.
Avec l’abstraction comme point commun, on frise le prétexte gratuit: de quelle oeuvre en effet, peut-on encore dire, aujourd’hui, qu’elle n’est précisément pas abstraite? À l’inverse, les concepts en jeu dans une toile dite non-figurative n’ont-ils pas tous, finalement, un fond de figuration?
En fait de propos abscons ou brutalement avant-gardistes, le Salon rassure par son relatif classicisme. Les pontes de l’Abstraction nous accueillent: Pierre Soulages, Jean-Pierre Rives ou encore Amélie Nemours. Rien de trop abstrait, occulte ou «vide», rien qui renforcerait la rupture entre l’art contemporain et le public.
D’ailleurs, précise Michel Gemignani, président de l’association Réalités Nouvelles, le Salon n’a pas de vocation de «définition» mais d’«inventaire» de l’Abstraction. Définition ou inventaire, l’ambition est de taille ; ce sont donc plutôt des pistes, des hypothèses qui sont lancées. D’un white cube à l’autre, on s’interroge sur ce qui fait l’Abstraction.
La première piste de la non-figuration, trop évidente, est vite écartée, le questionnement porte plus sur le processus formel.
Le travail matiériste d’une texture présentée comme brute, sans prétexte narratif, comme le tableau de l’artiste Eleonor (qui fait passer de l’acrylique pour de la terre), serait-il caractéristique de l’Abstraction?
La géométrie, le minimalisme, le monochrome, ou l’utilisation de couleurs primaires et applats parfaitement délimités de Jacques Tissinier ou de Hans Riedl, font-ils l’Abstraction d’un tableau ?
Mais dans ce cas, qu’en est-il des formes dynamiques, torturées, déchirées, de Jacques Busse ou Robert Delafosse ?
Ces interrogations formelles écartées, c’est la mise en question des limites du tableau, pourtant vieille d’un siècle, qui est à l’honneur. Joao Carlos Galvao fait jaillir des cubes et prismes du plan bidimensionnel de la toile, tandis qu’André Stempfel glisse une cale (au sens propre) dans son châssis comme pour, paradoxalement, le déséquilibrer.
Le propos de Cézanne puis des cubistes est toujours là , l’ironie en plus. Le cadre tombe littéralement chez Gaël Bourmaud, et la toile, tout aussi littéralement, disparaît progressivement du cadre chez Aldo Mengoli.
Le miroir, qui a déjà un long passé de perturbateur dans l’histoire de l’art (que ce soit en tant que sujet ou objet), se met dans tous ses états chez Marianne Pade : déborder de l’espace du cadre, doubler les profondeurs, perturber les reflets et surtout, accueillir l’image du spectateur dans l’œuvre.
C’est finalement vers le spectateur que les œuvres et le Salon tout entier sont tournés, et c’est là la force d’un Salon organisé par une association d’artistes. L’accrochage de toute cette diversité est assez réussi, car il rend la visite agréable, sans aller jusqu’au parcours fléché prédigéré.
L’Abstraction n’est pas une étrangeté qui ne parle qu’en raccourcis élitistes. Sans nécessairement raconter, elle sait parler.
Géraldine Miquelot
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