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11e Biennale d’art contemporain de Lyon. Une terrible beauté est née

Le catalogue accompagnant et prolongeant la 11e édition de la Biennale d’art contemporain de Lyon est conçu comme un montage autonome d’œuvres visuelles et textuelles ouvrant sur une multiplicité de significations. On prend plaisir à observer les détails de ces œuvres à la fois fraîches et intenses, qui n’hésitent pas à manier l’humour et le sarcasme.

Information

Victoria Noorthoorn, Carlos Gamerro, Ruben Mira, Alejandro Tantanian
11e Biennale d’art contemporain de Lyon. Une terrible beauté est née

Extrait (p.52-54)

Victoria Noorthoorn
11e Biennale de Lyon : Une terrible beauté est née

Pour la 11e édition de la Biennale de Lyon, historiquement une biennale d’auteur, j’ai choisi de faire ce que font les artistes — d’avancer à l’aveugle, dans le noir, sans savoir si celui-ci s’éclaircira ou non au cours de ma progression, pas à pas et d’œuvre à œuvre, de me laisser influencer par mes obsessions, mes intuitions et mes frayeurs, et d’être guidée par les indices et les provocations que les artistes conviés ont semé sur ma route — sur notre route. J’ai voyagé et fait en sorte que cette exposition parle tout à la fois de l’incertitude du présent et de son proche avenir, qu’elle parle de la condition de l’artiste et de l’absolue nécessité de l’art, tout en restant ouverte au doute, à la contradiction et à la perplexité, au changement et au mouvement. Cette exposition est née des convictions et interrogations suivantes:

1. L’imagination est le support de la connaissance. Nous partageons avec Oscar Wilde chacune de ses célèbres épigrammes: la fonction de l’artiste est d’inventer et non d’enregistrer; le plaisir suprême de la littérature est de réaliser l’inexistant ; et je plaide pour le mensonge dans l’art. Cela signifie que l’art doit prendre ses distances à l’égard du réel pour exister en tant que tel — en tant que construction artificielle — et pour répondre en retour, et avec éloquence, à la complexité du réel.

2. L’imagination permet au rationnel et à l’irrationnel de cohabiter avec la plus grande productivité. L’artifice de l’art se crée en réunissant ou en opposant des méthodologies très diverses, qu’elles soient rationnelles (ainsi, le retour aux notions modernes de sciences et d’encyclopédie) ou irrationnelles (ainsi, l’appel au mysticisme, à la fantasmagorie, à l’hallucination, au délire, au jeu et au hasard, jusqu’à l’abandon).

3. L’imagination permet à l’individu de prendre des risques, de repousser ses limites et d’explorer, avec ou sans intention intellectuelle, les gestes et les pratiques qui sont autant d’alternatives au présent – et donc de construire des utopies alternatives.

4. L’imagination est la première des émancipations.

5. La liberté peut prendre différentes formes dans l’art: l’interrogation du présent, la création d’un monde alternatif, la destruction constructive des discours et des langages établis. Cette destruction constructive rejoint l’imagination et fait de l’absurde, du délire et de l’humour des outils d’émancipation du langage.

6. Dans son poème Pâques, 1916, le poète W. B. Yeats s’interroge sur son propre présent et analyse avec la plus grande incertitude la révolte des Irlandais revendiquant leur émancipation du joug britannique. A première vue, le poème semble célébrer les martyrs qui donnèrent leurs vies pour l’indépendance. Mais en y regardant de plus près, il est évident que le narrateur doute. Comme l’affirme Carlos Gamerro dans l’essai qu’il publie pour le catalogue de la Biennale de Lyon 2011, le poème, troublant, oscille entre affirmation, interrogation et négation, sans jamais prendre partie. Cette Biennale est pénétrée de ce sentiment qui nous laisse incapable de juger de l’évidence d’un présent. Nous préférons répondre, deviner et nous contredire en toute liberté.

7. Une terrible beauté est née, le fameux vers du poème de Yeats qui donne son titre à la Biennale, rassemble deux idées apparemment opposées – c’est cette contradiction productive qui nous intéresse ici.

8. Pourquoi est-il nécessaire d’interroger une fois encore cette notion de beauté? La beauté est depuis toujours l’un des paramètres les plus violents et les plus arbitraires de la pensée occidentale. Interrogeons-nous: la Beauté — au sens de R. M. Rilke — est-elle toujours le début de la terreur? Y’a-t-il une beauté qui ne soit pas terrible? L’émergence de la beauté adoucit-elle la brutalité du réel ou n’en renforce-t-elle pas au contraire les horreurs ?

Ce livre a été conçu et dirigé par une équipe éditoriale résidant à Buenos Aires, dont font partie les écrivains Carlos Gamerro et Rubén Mira, le dramaturge et metteur en scène Alejandro Tantanian, et moi-même. Conçu et publié en étroite relation avec Franck Gautherot — qui en a assuré le design — aux Presses du réel, ce catalogue est un projet éditorial autonome plutôt qu’une tentative de représentation de la Biennale en soi.

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