Monsieur le ministre,
Monsieur le commissaire général,
Mesdames,
Messieurs,
C’est un grand plaisir pour moi de me trouver parmi vous, pour la clôture de cette 32e édition de la Foire internationale d’art contemporain de Paris.
— La FIAC est l’une des plus anciennes manifestations européennes d’art contemporain, avec les foires de Cologne et de Bâle. Elle a réaffirmé aujourd’hui son ambition : présenter le champ le plus large de la création à travers 220 galeries et plus de 3000 artistes venus du monde entier.
— Cette année encore, elle a permis de faire connaître de nouveaux créateurs, de nouvelles tendances, de nouveaux horizons. En témoigne en particulier la section consacrée aux galeries de moins de trois ans.
«L’œuvre d’art, disait Marcel Duchamp, est un rendez-vous.» :
— La FIAC est ce rendez-vous entre la création et le marché de l’art : pendant cinq jours, artistes, marchands, collectionneurs, se sont retrouvés pour partager leur passion commune. Cette rencontre montre bien que le marché de l’art ne s’oppose pas à la création. Il est l’une des conditions de son existence. Une galerie porte un artiste comme un éditeur porte un auteur, avec la même confiance et la même volonté. Je me réjouis que dans cet esprit, le Fonds national d’art contemporain ait procédé pour la première fois à des acquisitions auprès des galeristes de la FIAC, pour un montant de 400 000 euros.
— La FIAC est aussi le lieu de rencontre entre la création contemporaine et un très large public : car si votre succès se mesure au nombre de galeries présentes, au nombre d’œuvre vendues ou échangées, il se mesure aussi au nombre des visiteurs, qui ont été près de 80 000 à parcourir les salles d’exposition. C’est bien la preuve que l’art contemporain intéresse le grand public.
Dans quelques heures, les portes de la FIAC vont se refermer. Pour toute l’équipe organisatrice, notamment son commissaire général Martin Bethenod et sa directrice artistique Jennifer Flay, ce sera le point de départ d’une nouvelle année de travail et de réflexion pour faire encore mieux l’année prochaine. Je suis venu vous dire que l’Etat veut prendre toute sa part à cet effort. La promotion de la création est votre métier. Elle est aussi notre défi commun.
I. Ce défi, c’est d’abord de refaire de la France l’un des foyers les plus vivants de la création contemporaine.
Je voudrais partir de quelques convictions simples :
— Alors que l’avenir semble parfois se brouiller, l’art est un enjeu majeur pour nos sociétés.
— Alors que domine l’utilitarisme, toute chose devant servir à autre chose, la création nous ouvre un espace de libre invention, de libre questionnement.
— Alors que tout bouge, se mêle et s’entrechoque, seule la création, dans son foisonnement de formes et de langages, peut donner à voir au-delà de la complexité des choses et rendre un sens à une réalité qui nous échappe.
Dans les œuvres des siècles passés nous cherchons une origine, une identité et un héritage essentiels pour affronter les épreuves du temps présent. C’est pourquoi je comprends et je partage l’attachement des Français à leur patrimoine. Dans la création contemporaine nous trouvons l’élan pour déchiffrer et ouvrir des voies nouvelles. Car l’art est bien la transgression dont toute société a besoin pour se comprendre et se dépasser elle-même.
La création éclaire également notre rapport au monde : la vitalité artistique d’un pays traduit sa force et son audace. Elle exprime aussi sa volonté de se confronter aux questions que pose l’avenir. Un pays qui crée veut aller de l’avant, s’adresser à son temps et au reste du monde. Un pays qui crée veut être écouté et entendu par les autres peuples et les autres cultures.
Devant de tels enjeux, je voudrais aujourd’hui poser deux questions :
1. La France connaît-elle et encourage-t-elle suffisamment ses créateurs?
Je n’en suis pas certain. Malgré le talent de nos artistes, nous ne sommes pas assez représentés dans les grands rendez-vous internationaux. Ils ont parfois des difficultés à faire reconnaître leur talent sur le marché de l’art, à commencer par notre propre marché de l’art, qui reste encore trop étroit et trop faible.
Pour mieux valoriser nos créateurs à l’étranger, nous devons mieux les valoriser en France. Mon ambition c’est que les Français apprennent à aimer la création comme ils aiment leur patrimoine.
— Je veux qu’ils apprennent à mieux connaître, mieux accompagner leurs créateurs, tous ceux qui, Français ou ayant choisi notre pays, d’Anselm Kiefer à Wang Du ou à tant d’autres, incarnent et portent aujourd’hui la scène française. Commençons par aimer nos créateurs comme il convient, pour les faire aimer à l’étranger comme ils le méritent. A cet égard je tiens à rendre hommage à l’initiative exemplaire que représente le prix Marcel Duchamp. Je veux remercier l’association pour le développement international de l’art français que préside Gilles Fuchs et je veux naturellement féliciter le lauréat du prix remis samedi, Claude Closky.
— Il n’y a aucune fatalité à ce que les artistes français ou qui créent en France aient plus de difficultés que ceux d’autres pays à s’affirmer et à exister sur la scène internationale. L’exemple d’Annette Messager, Lion d’or de la biennale internationale de Venise, ou celui de l’exposition de Daniel Buren à New York, nous le montre, s’il en était besoin.
2. Mais je veux aussi, et c’est ma deuxième question, m’interroger sur le rôle de l’Etat.
L’Etat a toujours accompagné la création artistique en France. Pour moi cela l’honore. Mais il doit aujourd’hui rénover et réinventer son mode d’action, en prenant garde de ne pas contraindre les voies et les choix de la création.
— Il appartient à l’Etat d’offrir un espace de liberté afin que la création s’épanouisse. Alors que la création artistique est elle-aussi soumise aux règles de la mondialisation, la responsabilité de l’Etat c’est de veiller à ce que nos créateurs disposent ici des mêmes atouts, des mêmes garanties, des mêmes chances que les autres ailleurs.
— Le rôle de l’Etat c’est aussi de rapprocher, de faire travailler ensemble tous ceux qui contribuent au dynamisme de la création artistique : les entreprises, les collectivités locales, les galeries, les collectionneurs, les grandes institutions publiques, les artistes.
II. Alors aujourd’hui comment redonner toutes ses chances à la création en France ?
1. Cela commence peut-être d’abord par un effort d’initiative et d’apprentissage, par une meilleure sensibilisation aux formes de l’art contemporain dès le plus jeune âge.
Notre pays a encore beaucoup d’efforts à faire dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle. Parmi d’autres travaux, le rapport de Madame MARLAND-MILITELLO, a permis d’appeler l’attention sur cette question. Je salue les efforts accomplis dans ce domaine par Renaud DONNEDIEU de VABRES et Gilles de ROBIEN.
— Le Haut conseil à l’éducation artistique et culturelle voulu par le Président de la République sera mis en place avant la fin de l’année.
— Nous lui demanderons de veiller à ce que l’éducation artistique passe de plus en plus par la rencontre directe entre les artistes et les élèves. Je souhaite que les plasticiens y trouvent toute leur place.
2. Il revient ensuite aux pouvoirs publics de soutenir nos créateurs et de défendre leurs droits.
— En premier lieu, j’entends rappeler aux institutions soutenues par l’Etat, notamment dans le domaine des arts plastiques, leur devoir de sélection, de présentation et de promotion des auteurs et des artistes français ou qui ont choisi notre pays pour y travailler.
— En deuxième lieu nous devons adapter notre législation sur les droits d’auteur, pour continuer à assurer, dans un environnement technologique nouveau, les droits des créateurs et la propriété intellectuelle. Je vous confirme donc que le projet de loi sur le droit d’auteur dans la société de l’information fera l’objet d’une première lecture dès le mois de décembre. Il sera examiné en procédure d’urgence.
— En troisième lieu, je souhaite que notre dispositif fiscal soit plus incitatif. Je veux permettre aux jeunes créateurs de vivre en France de leur talent et donner envie aux talents étrangers de venir créer chez nous. Une disposition fiscale nouvelle au bénéfice de l’ensemble des formes de la création plastique – peinture, sculpture, installations, photographie, gravure…- y contribuera. Les artistes bénéficieront, pour leurs cinq premières années de déclaration, d’un abattement de 50% sur les revenus tirés de la vente de leurs oeuvres.
3. Rendre toute sa place à la création c’est aussi améliorer les conditions de fonctionnement du marché de l’art et en particulier le travail des galeries.
Nous pouvons nous appuyer sur un atout considérable, puisque le marché de l’art français reste, en volume de transactions, le premier marché européen. Mais nous savons qu’en chiffre d’affaires, la tendance est moins positive.
Je veux donc lever les blocages qui peuvent affecter ce marché, notamment ceux qui tiendraient à une trop grande complexité de la fiscalité. Je demande au ministre des finances et au ministre de la culture d’étudier cette question, avec quatre priorités immédiates :
— Les œuvres d’art bénéficient d’ores et déjà d’un taux de TVA à 5,5%. Les nouvelles formes artistiques comme les installations ou les vidéos conçues pour être diffusées en continu n’en bénéficiaient pas jusqu’à maintenant. Je souhaite qu’elles disposent désormais du même régime.
— Je souhaite également que les œuvres d’artistes vivants puissent désormais être remises en dation pour acquitter l’impôt sur la fortune ou les droits de succession ou de donation, comme c’est le cas pour les œuvres plus anciennes. C’est important pour la fluidité du marché de l’art. C’est essentiel pour que nos grandes collections publiques puissent continuer à s’accroître en accueillant les plus grandes œuvres contemporaines.
— Par ailleurs, si la loi du 1er août 2003 a créé des conditions très favorables pour le mécénat d’entreprise, l’instruction du 13 juillet 2004 sur cette loi en a réduit la portée en imposant aux entreprises des conditions excessivement exigeantes de présentation au public des œuvres acquises. Je demande qu’une nouvelle instruction soit prise, veillant à ce que l’œuvre puisse être exposée dans un lieu accessible aux salariés, clients et partenaires de l’entreprise.
— Enfin, je connais votre préoccupation sur l’application du droit de suite. Je souhaite donc que la transposition de la directive européenne prenne en compte le plus étroitement possible les demandes légitimes des galeristes comme des artistes. Une inégalité des conditions d’application de ce droit entre les marchés de Paris et Londres serait nuisible aux uns comme aux autres. C’est pourquoi je crois que la France est en droit d’attendre de la Commission les mêmes conditions de délai accordées à la Grande-Bretagne.
III. Je veux enfin donner une nouvelle visibilité à la création française.
Je salue l’existence dans notre pays d’un réseau dense et varié de lieux de création, de centres d’art, de musées, de galeries, qu’il s’agisse du Musée d’art et d’industrie de Roubaix, de la Salle de Bains à Lyon, du CAPC à Bordeaux ou encore du centre d’art de Vassivières.
A la vitalité de ce réseau, l’Etat doit apporter une contribution nouvelle. Nos artistes ont besoin de lieux et de projets nouveaux qui leur permettent de stimuler leur travail, de mieux l’exposer et le mettre en valeur. Ces projets doivent associer le plus largement possible l’ensemble des acteurs publics et privés.
Avec Renaud DONNEDIEU de VABRES, nous avons donc décidé d’inscrire la mise en valeur de la création contemporaine dans les missions du Grand Palais.
— Dès 2006, le ministère de la culture organisera au Grand Palais une grande exposition consacrée aux artistes français contemporains. Il associera les professionnels des galeries à cet événement. Au-delà , je souhaite que la programmation future du Grand Palais intègre cette vocation dans la durée.
— D’une manière générale, la nef peut déjà accueillir d’importantes manifestations, mais toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour leur permettre de se déployer dans des conditions optimales.
— Je souhaite donc mettre en place dès à présent une mission de réflexion et de concertation avec pour objectif de définir le fonctionnement et les aménagements nécessaires pour que ce magnifique bâtiment puisse fonctionner de la façon à la fois la plus généreuse et la plus équilibrée.
— Notre objectif, c’est que dans cinq ans, le Grand Palais puisse accueillir à nouveau tous les salons culturels majeurs, au premier rang desquels la FIAC ou le Salon du livre.
Le rôle du Grand Palais à l’égard de la scène française devra bien sûr prendre en considération celui du Palais de Tokyo, dont les espaces disponibles, plusieurs milliers de mètres carrés, seront réhabilités.
— Outre le centre de création contemporaine, le Palais de Tokyo s’ouvrira ainsi au design, à la mode, à la présentation de collections publiques ou privées, d’art contemporain, d’arts décoratifs.
— Ses salles de cinéma seront concédées selon un cahier des charges répondant au même esprit.
Nous avons également besoin de lieux dédiés aux créateurs eux-mêmes, à leur vie, à leur travail.
Il existe aujourd’hui un lieu exceptionnel, susceptible de remplir de telles conditions : l’île Séguin. Son avenir a été confié à un groupe de réflexion par le maire de Boulogne Billancourt et le président du Conseil Général Nicolas SARKOZY. A côté du pôle scientifique et des résidences de chercheurs qui sont déjà prévues, je souhaite que soit étudiée la création d’un Centre européen de la création contemporaine, avec la volonté d’assurer la représentation la plus forte de la création de notre pays. Il offrirait aux artistes une plate-forme de travail, de vie et de visibilité qui n’existe pas aujourd’hui en France.
Ce lieu pourrait réunir :
— Un vaste ensemble d’ateliers et de résidences où des artistes sélectionnés, français ou étrangers, pourraient s’installer et travailler sur des périodes plus ou moins longues ;
— Des cycles supérieurs de formation artistique et culturelle : écoles d’architecture, d’arts plastiques et décoratifs, de création industrielle, de cinéma, pourraient ainsi développer des projets propres ou communs de recherche, de troisième cycle, de formation pré-professionnelle, ou encore d’échanges internationaux ;
— Je voudrais que ce site puisse offrir des lieux d’exposition, et que des galeries puissent s’y installer. Il devrait également accueillir des activités économiques cohérentes avec ce projet, notamment dans les secteurs de la presse et de l’édition.
Renaud DONNEDIEU de VABRES rencontrera prochainement Nicolas SARKOZY et Jean-Pierre FOURCADE pour étudier avec eux les modalités de mise en œuvre de ce nouveau Centre de la création.
Une partie au moins des activités pourrait être gérée par une Fondation pour la création en France.
— Cette fondation sera dotée par l’Etat, mais elle pourra recevoir des dons de particuliers ou d’entreprises, notamment nos grandes entreprises. Sur les 100 premières, plus de soixante, parmi lesquelles des entreprises publiques, n’ont pas créé de fondation. Celles de nos entreprises qui le souhaitent pourront ainsi participer à la création d’une institution originale, ouverte, entièrement dédiée à la création.
— Cette fondation sera d’abord une fondation de mission, chargée d’aider les artistes à créer, à s’exposer, à se former, à venir en France ou à séjourner à l’étranger.
— Elle pourra être chargée également d’aider les institutions existantes à organiser une manifestation ou à financer telle ou telle acquisition.
Ces projets, qu’il s’agisse de la rénovation réussie du grand Palais, du Centre d’art pour la création ou de la fondation sont conformes à ma conception de l’action de l’Etat dans tous les domaines. Dans le domaine culturel aussi, l’Etat doit être le moteur d’investissements exceptionnels. C’est dans cet esprit que je souhaite relancer l’idée d’un grand auditorium à Paris.
— La rénovation de la salle Pleyel a constitué une première étape, absolument nécessaire.
— Mais il me semble que Paris mérite, comme tant d’autres grandes villes en Europe, la construction d’une grande salle adaptée notamment aux nouvelles pratiques d’écoute musicale que nous voyons se développer. Je propose à la ville de Paris et à la région Ile-de-France de remettre à l’étude un tel projet, qui devra associer de grands architectes, plasticiens et designers.
Mesdames, Messieurs,
Vous me permettrez pour terminer de dire quelques mots plus personnels sur ce que représente pour moi l’art contemporain.
Creuser en soi, creuser le monde, ainsi avance la création. Dire notre société telle qu’elle est, dans ses rêves, dans ses espoirs mais aussi dans sa violence et dans ses injustices, telle est l’exigence de l’art. A chaque artiste, un regard. A chaque artiste, une manière d’habiter et de recréer le monde : les explosions d’un Rebeyrolles, les surfaces bleues et noires d’un Soulages, les recherches croisées d’un Kijno et d’un Combas, les installations d’un Christian Boltanski ou d’un Fabrice Hyber, les surprises et les collections d’une Sophie Calle, les sinuosités d’un Alechinsky ou les éclats d’un Zao Wou-Ki sont autant de façons de produire un univers neuf. La politique n’a pas le droit d’ignorer ces gestes qui participent à la vie de la cité, qui l’animent, qui lui donnent un élan et un sens.
Les artistes ont besoin de toute notre attention, comme nous avons besoin de leur lucidité et de leur message. Ils demandent une liberté qui ne se confonde pas avec l’indifférence. Dans un temps qui gomme les aspérités des choses et laisse grandir l’uniformité, leur présence est plus que jamais nécessaire. Donnons leur la place et le rôle qu’ils réclament. Apprenons à nos enfants à regarder, à écouter, à être ouverts à la création artistique dans son ensemble.
En France la création contemporaine est vivante, je voudrais qu’elle soit défendue. Elle existe, je voudrais qu’elle soit reconnue. Elle est soutenue par quelques uns, je voudrais qu’elle soit partagée par tous.
Mes chers amis artistes, peintres, sculpteurs, plasticiens : votre œuvre permet d’étreindre la rugosité du monde par ce face-à -face que vous avez tous les jours avec lui. Nous avons fondamentalement besoin de vous. Jour après jour, dans le secret de vos ateliers, vous façonnez la matière et l’âme du monde. Vous nous aidez à vivre, quelle que soit notre sensibilité, notre origine, notre culture : oui, l’art nous rassemble. Au nom de notre pays que j’ai l’honneur de représenter, je vous dis merci.