ÉCHOS
01 Jan 2002

10.04.07. Pornographie et art contemporain : Destricted

Destricted, en salles à partir du 25 avril prochain, est l’occasion de revenir sur la relation que peuvent entretenir art contemporain et pornographie.

Par Tewfik Bouzenoune

En cette triste période pour la création artistique contemporaine qui a vu l’ex-directeur du CAPC de Bordeaux (Henri-Claude Cousseau), ainsi que deux commissaires d’exposition (Stéphanie Moisdon et Marie-Laure Barnadec) mis en examen pour pédopornograhie en raison de l’exposition Présumés Innocents, l’art contemporain et l’enfance, il semble utile de revenir sur la relation que peut entretenir l’art contemporain avec la pornographie, au travers d’un exemple bien plus récent: le film Destricted qui sera présenté dans les salles le 25 avril 2007.

Cet ensemble de courts métrages réalisés par des personnalités du monde de l’art et du cinéma — Marina Abramovic, Matthew Barney, Sam Taylor Wood, Marco Brambilla, Richard Prince, Gaspard Noé, Larry Clark —, d’une durée totale de 1h55, se propose d’explorer, au travers de sept films, les relations que peut entretenir la pornographie avec l’art.

Cette rencontre entre art et sexe, même si elle n’est pas d’une nouveauté particulière dans le champ de l’art contemporain, soulève néanmoins des questions juridiques intéressantes, notamment en ce qui concerne la qualification juridique que doit revêtir ce film pour pouvoir, ou pas, faire l’objet d’une distribution, ce qui est somme toute sa destination finale.

En effet, toute représentation publique d’une œuvre cinématographique en France est soumise à l’obtention préalable d’un visa d’exploitation délivré par le ministre de la Culture, après avis de la Commission de classification des œuvres cinématographiques.
Cet avis est important : outre les classifications classiques (autorisation «tous publics» ou interdiction à un groupe d’âge : moins de 12 ans, moins de 16 ans, moins de 18 ans), la loi prévoit que certains films peuvent être également inscrits sur une liste prévue aux articles 11 et 12 de la loi n° 75-1278 du 30 décembre 1975 entraînant l’interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans ainsi qu’un retrait de soutien financier des pouvoirs publics aux distributeurs et aux salles les diffusant.
Cette liste concerne en fait les films pornographiques qui sont interdits de diffusion dans les salles de cinéma publiques. Tous les films qui y sont inscrits sont donc exploités dans des cinémas spécialisés et ne peuvent faire l’objet d’une large diffusion.

Par ailleurs, le système est dissuasif et peut agir comme une sorte de filtre naturel concernant certains programmes qui, ne se revendiquant pas pornographiques, tombent tout de même sous le coup de la loi : les salles ne voudront pas diffuser ce film, de peur de voir leurs ressources financières diminuer, simplement pour «l’amour de l’art». On en revient, de manière détournée, à une situation classique: le défaut de soutien des pouvoirs publics à la création contemporaine.

Destricted fait partie de ces films à la croisée des chemins: l’ensemble traite de pornographie, mais se revendique comme un film artistique. Il est autant brûlot sulfureux que film sociologique, et ce qui le différencie du film pornographique, c’est qu’il donne à réfléchir sur ce que l’on entend aujourd’hui par pornographie. Destricted présente, objectivement, toutes les caractéristiques du film pornographique (du moins certains courts-métrages, tel que celui de Larry Clark).
Un film qui se propose d’explorer les relations formelles que peut entretenir l’art avec la pornographie ne peut se passer de traiter de la pornographie elle-même, sous toutes ses formes, y compris les plus explicites (ce qui d’ailleurs marque la différence entre les travaux de Marina Abramovic ou de Marco Brambilla avec celui de Lary Clark).

Pour ce genre de films, il existe un statut intermédiaire: l’article 3-1 du décret prévoit la possibilité qu’un film, présentant des scènes de sexe non simulées, ne soit pas inscrit sur la liste précitée, en raison de «la manière dont les scènes sont filmées et la nature du thème traité». Ces films pourront donc être diffusé avec une interdiction au moins de 18 ans sans autre restriction, y compris de nature matérielle.

Encore faut-il que la Commission de classification du Centre National de la Cinématographie reconnaisse à ce film une spécificité artistique dont les simples films pornographiques ne peuvent se prévaloir. Elle l’a déjà fait pour certains films, tels que Ken Park de Larry Clark, ou Romance X de Catherine Breillat, qui ont pu bénéficier de cette disposition.

Destricted présente, objectivement, toutes les caractéristiques nécessaires pour tomber sous le coup de ces dispositions. Mais il existe une valeur ajoutée incontestable qui ne devrait pas, on l’espère, échapper à la vigilance de la Commission de la classification.

Destricted n’est pas un film pornographique : il est un essai audacieux, pertinent, quelque peu provocateur certes, mais utile à la compréhension de ce qu’est aujourd’hui la création contemporaine. Plus une réflexion sur la pornographie que de la pornographie elle-même. Refuser une large diffusion pour ce film équivaudrait à faire du sexe un tabou encore plus grand que ce qu’il n’est déjà, et dissuaderait de toute tentative de réflexion artistique dans ce domaine. Autant dire que le Centre National de la Cinématographie contribuerait à une paupérisation du débat sur le sexe et la pornographie.

Le visa d’exploitation n’a pas encore été octroyé, mais la simple évocation des intervenants, artistes majeurs de l’art contemporain sur la scène internationale, devrait suffire à donner à ce film une valeur artistique à «la nature du thème traité et à la manière dont les scènes sont filmées».

Destricted
— Hoist, Matthew Barney, 14 mn 36s
— Balkan Erotic Epic, Marina Abramovic, 13 mn
— House Call, Richard Prince, 12 mn
— Impaled, Larry Clark, 38 mn
— Sync, Marco Brambilla, 1 mn
— Death Valley, Sam Taylor Wood, 7 mn 58 s
— We Fuck Alone, Gaspar Noé, 23 mn

Produit par Neville Wakefield, Mel Agace et Andrew Hale, 2006
Distribué par Tadrat Films.

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