1 Puissance ∞
Tomoko Ishida et Makoto Ofune
1 puissance ∞
Je suis très reconnaissante d’avoir l’opportunité d’être commissaire de l’exposition « 1 puissance ∞ » réunissant des oeuvres de Tomoko Ishida et de Makoto Ofune à l’Espace Topographie de l’art à Paris.
Depuis 2001, je suis curatrice de la « Biennale de Biwako » organisée d’abord dans la ville d’Otsu et ensuite, à partir de 2004, dans la ville de Omihachiman, les deux se trouvant autour du Lac Biwa dans la Préfecture de Shiga.
La raison principale qui m’a poussée à lancer la « Biennale de Biwako » a été le désir de sauver une magnifique maison japonaise vieille de plus de cent ans. Beaucoup d’autres maisons autour de cette dernière ont malheureusement déjà été détruites pour céder place à des parking ou à des bâtiments modernes.
Mais la ville garde encore sa vieille atmosphère et nombreuses sont les maisons restées vides. Afin de sauvegarder ces vieilles demeures, des artistes sont invités à investir de leurs oeuvres plusieurs de ces maisons. Pendant la « Biennale de Biwako », la ville elle-même devient un « musée » dont l’expérience formidable fait que beaucoup de visiteurs, par le biais de l’art contemporain, se rendent compte de la valeur de ces vieilles maisons japonaises.
Ainsi, l’intention de la Biennale n’est pas seulement de montrer des oeuvres d’art mais aussi des espaces. De montrer comment les artistes sont capables d’intégrer leurs oeuvres à un espace déterminé, à la mémoire de centaines d’années d’histoire.
Dans « 1 puissance ∞ » les travaux de Tomoko Ishida et de Makoto Ofune sont ici rapprochés car leurs oeuvres partagent un point commun : l’existence concomitante d’un macro et d’un micro monde. Les sculptures de Ishida, constituées de l’accumulation d’innombrables ficelles en fibre de papier, ainsi que la peinture d’Ofune, réalisée à partir de pigments mélangés à des minéraux de roche, nous amènent à des sphères beaucoup plus larges que celles circonscrites par leurs travaux.
L’affrontement de leurs oeuvres, évoluant autour d’un temps et d’une lumière précise, créera une expérience particulière au sein de l’Espace Topographie de l’art. Prenant racine dans l’esprit oriental, l’installation oscillera entre le « grandiose » et la « finesse » de leurs démarches respectives. Yoko Nakata, commissaire de l’exposition.
Makoto Ofune & Tomoko Ishida
Tomoko Ishida
J’ai commencé à faire de l’art avec du papier en 1992, c’est-à -dire après mon mariage. J’ai épousé un prêtre bouddhiste, et je suis allée vivre dans un temple Zen au nord-est de la campagne japonaise.
Vivant ainsi, j’ai expérimenté pour la première fois ce sentiment de « connexion » à beaucoup de choses et de personnes qui venaient et rentraient chaque jour dans ma vie. En particulier les journaux, lettres et différents types de papiers d’emballages qui passaient devant moi toute la journée, sans interruption, jour après jour.
Par le passé, je faisais de l’art avec du tissu – il semble donc que j’ai été attirée par ce type de fibres dès le départ. Parmi tout ce papier, j’ai utilisé les papiers qui servaient d’emballage aux offrandes à Bouddha, parce que ce type de papier est un matériel durable et a des couleurs magnifiques.
Les papiers d’emballages colorés pour les offrandes dans nos temples nous rappellent chacun une histoire. Néanmoins il n’en est pas ainsi pour les papiers blancs. Ils nous remémorent le temps au-delà de l’histoire, que l’on appelle « éternité ». Dans le bouddhisme, la couleur blanche a été évaluée comme le symbole de la volonté d’aller vers l’illumination. De la même manière, dans les autres religions orientales, le blanc est une couleur sacrée. Cela pourrait être l’endroit vide ou quelque chose au-delà du temps et de l’espace.
Quand j’ai décidé de créer des oeuvres d’art à partir de ces papiers d’emballage, j’ai réalisé qu’il fallait que ce soit quelque chose de simple et de répétitif ; et finalement, j’ai décidé de faire des « koyori ». Je n’avais aucun plan particulier à l’esprit. Je travaillais simplement, jour après jour, comme pour un journal intime. Alors que je travaillais avec le papier que j’avais réuni à partir de toutes sortes de sources différentes, je commençais à imaginer les réactions des gens qui entreraient en contact avec le papier après qu’il ait quitté mes mains pour devenir une oeuvre d’art.
Aujourd’hui, je peux même entendre le papier dire « nous sommes l’incarnation de ton temps, de ton esprit, et même de tes rencontres. Nous sommes l’incarnation de ton mécontentement, de tes prières et de tes rêves. Nous sommes l’incarnation de toi ». De cette manière, je pense que mon travail « koyori » ne me représente pas seulement moi, mais la communauté humaine. Pour la plupart des gens, il n’est pas nécessaire de faire de l’art pour vivre. Néanmoins, pour moi, c’est la seule façon d’être sûre que je suis en vie.
Makoto Ofune
Ofune est un artiste contemporain de la nouvelle génération qui exprime l’intérêt du Japon pour la nature, laquelle est imprimée dans leurs esprits, utilisant une approche de la perception de l’espace ainsi que des méthodes de peinture empruntées à la tradition japonaise. Du premier coup d’oeil, son travail peut paraître abstrait. Cependant, Ofune décrit l’atmosphère engendrée par le mouvement de l’air et de la lumière de façon très réaliste.
De manière générale, l’art traditionnel japonais tient sa valeur réelle de l’harmonisation des éléments basés sur la nature avec ceux de l’espace de vie ordinaire. À travers son histoire, les oeuvres d’art ont été vues sur des murs (shouheki-ga), des portes glissantes (fusuma-e), des affiches en rouleau (kake-jiku), et autres supports de la vie quotidienne. C’est cette harmonie entre l’art et la vie qui est la caractéristique de l’art japonais. Dans le cas de l’art japonais, les oeuvres ne peuvent jamais exister seules, par elles-mêmes, car elles ont toujours besoin de trouver une place adéquate par rapport à un lieu, afin d’obtenir leur vivacité primaire.
Makoto Ofune remodèle des techniques traditionnelles de peintures japonaises pour faire sortir quelque chose d’entièrement nouveau. Après avoir monté des papiers en fibres de chanvre japonais sur des panneaux, Ofune intègre des pigments faits de boue, de terre et de coquillages. Sur cette base, il additionne des couches de pigments minéraux faits de pierres naturelles écrasées comme le lapis lazuli, les ordonnant sur le papier avec de la gélatine extraite de la peau animale. Avec la réflexion de la lumière, des pigments minéraux changent de couleur et d’intensité.
Ofune ne considère pas ces pigments de pierre écrasée dans le sens d’une substance utilisée pour couvrir et pour colorer ce qui est au-dessus. Pour lui, ce sont précisément les particules dans les pigments qui sont la substance de l’art. Les particules elles-mêmes sont des éléments sculpturaux à une échelle microscopique.
Ofune ne peint pas d’objet précis, mais quelque chose qui incarne, suggère ou reflète des impressions mentales, des souvenirs, etc. Être conscient de la nature et de l’espace, chérir leur intégration, goûter le lieu – c’est ainsi que se forme la substance de la peinture traditionnelle japonaise. Il est significatif aujourd’hui de faire la démarche d’incorporer les concepts de la tradition dans la modernité
Horaires
Mercredi-Dimanche. 15h-19h