par Olivier Blanckart
Si je voulus gagner Rome, ce n’était pas en vue d’un gain et d’une dignité supérieurs (comme me le promettaient mes amis qui m’y engageaient).
Saint Augustin, Les Confessions Livre V, VIII-14.
Le palmarès du prix Marcel Duchamp a laissé la troublante impression cette année que l’État rétablissait les grands prix nationaux supprimés naguère. Qui plus est, en se servant pour cela de l’argent des collectionneurs privés, petit tour de force politique qui confère à l’événement une tonalité «chaviste» de nature à flatter, n’en doutons pas, l’esprit guevariste bien connu qui caractérise les membres de l’Adiaf.
À verdict politiquement programmé d’avance, dispositif approprié: un grand jury sélectionné dans le sens escompté. Des mesures visant à interdire toute rencontre «risquée» entre les artistes du prix et les jurés durant la Fiac. Des rumeurs insistantes prétendant (alors que la chose est courante dans les prix littéraires ou cinématographiques) qu’on ne pouvait pas nominer deux années un artiste (Closky en l’occurrence) sans lui décerner à coup sûr le prix la seconde fois. Présence à la Fiac, enfin, d’un ministre de la Culture claironnant pour la remise du prix.
Tout concourrait à donner l’impression qu’au-delà des quelques jours de licence spectaculaire qui caractérisent une foire, ni Gilles Fuchs, le président de l’Adiaf, ni Alfred Pacquement, le directeur du Musée national d’Art moderne, ne voulaient se donner l’opprobre, sur la scène internationale, de récompenser, au choix: des sculptures violentes, pétomanes, blasphématrices, grotesques, baroques, organiques, trans, profuses, radicales. Voire arabes !
L’artiste lauréat lui-même, dont la tonalité du travail tranchait irrémédiablement avec celle des trois autres, et afin que les enjeux soient clairs, avait opportunément pris soin de préciser dans la plaquette publiée avant le prix:
«Je vois deux façons de créer une distance critique avec les modèles qui régissent notre quotidien. Leur opposer un nouveau discours pour les contredire, ou bien suivre leur logique et les faire s’emballer jusqu’à l’absurde. Comme artiste, je ne peux que choisir la seconde méthode ».(1)
Closky en effet ne contredit rien. Et le revendique comme une évidence. Ce n’est pas le lieu ni même mon idée ici de remettre en cause le travail de Claude que je connais du reste depuis longtemps, ni évidemment sa cohérence. Car ce n’est pas tant son travail qui, à proprement parler, fait question, que les effets de réception que ce travail produit au sein d’une certaine bourgeoisie française et qu’on pourrait nommer en la circonstance: «critique légitimante». Et ces effets sont implacables. Clairement, le verdict du prix Marcel Duchamp 2005 fut une opération de maintien de l’ordre.
Qu’un pacte d’ordre État-bourgeoisie fonctionne en France depuis au moins Bonaparte selon un mode autoreproducteur purement utilitariste, quoi de plus «naturel» en régime libéral. Après tout, l’Institut de France qui, dans l’indifférence générale, distribue chaque année des dizaines de prix parfois bien mieux dotés que le Pmd, ce n’est rien d’autre.
(Et ainsi, le président du Centre Pompidou pourra désormais impressionner ses visiteurs en leur déclamant, courtelinesque: «et ce papier peint-ci que vous voyez z’ornant les murs de mon bureau, c’est un jeune Marcel Duchamp qui nous l’a fait à bon Prix!!»).
Ce qui est déjà moins risible dans cette histoire, c’est que l’acronyme Adiaf signifie en principe Association pour la Diffusion Internationale des Artistes Français. Dans la perspective d’un tel objet social on aurait pu logiquement s’attendre cette année à voir distingué Gilles Barbier, un rare cas d’artiste français ayant exposé au Whitney Museum, et dont l’œuvre, élogieusement critiquée par le New-York Times, est ensuite entrée dans la collection Margoulis. Ou encore Kader Attia, dont la pièce très remarquée à Art Basel-Unlimited en 2005 ou sa participation à la biennale de Venise démontraient toutes les qualités «internationales» désirables.
(Pour ce qui me concerne, je n’étais quand même pas suffisament naï;f pour espérer sérieusement en mes chances, considérant comme déjà assez improbable d’avoir été appelé à participer à la sélection 2005 sur les bases d’une nouvelle organisation du prix que j’avais moi-même préconisée. C’est d’ailleurs cette conscience «libérée» du poids de l’enjeu qui m’a permis d’expérimenter, sans esprit de calcul, une pièce risquée, radicalement nouvelle. Néanmoins pour ne pas me dérober, je développerai quelques considérations plus personnelles à ce sujet vers la fin de ce texte).
En 2003, déjà , on avait pu s’étonner qu’un Mathieu Mercier, bon artiste quoi qu’il en soit, mais ayant encore largement du temps devant lui, ait été préféré à Claude Lévêque, un artiste plus expérimenté dont le crédit international était sans commune mesure.
Que Lévêque — tout comme certains d’entre nous cette année — représentât ce qu’Alfred Pacquement, le décisif président du jury Duchamp, abomine viscéralement à tous les points de vue, artistique, politique, social et même moral, c’est imaginable.
Cependant, et ainsi que je l’avais déjà (d)énoncé en 2004, le problème est plus général. C’est le poids étouffant, mortel, que Beaubourg, institution de l’Etat et plus précisément encore, son directeur du Mnam, exercent sur l’une des rares et généreuses initiatives privées françaises en faveur de l’art contemporain.
Car quand l’influence d’Alfred Pacquement dans les jurys aboutit à faire élire depuis au moins trois ans des artistes moins établis internationalement, ce n’est pas seulement, comme on pourrait le penser à première vue, une simple affaire de goût handicapé. Plus exactement, ce goût participe d’une stratégie autrement plus vaste et pernicieuse que ne le laisserait supposer l’apparente cécité de l’homme.
Et(h)ique
Entré au Cnap en 1971, Alfred Pacquement et l’Art français sont mariés depuis des lustres, du moins officiellement. Car pratiquement, le couple vit en régime morganatique. C’est que bien longtemps à l’avance, ce mariage avec l’Art français fut arrangé par sa famille au nom d’intérêts dynastiques irrécusables — on ne naît pas impunément dans le clan des fondateurs du prix Pacquement. Or le jeune Alfred, quoique docile, voulait bien épouser l’art, mais sans doute pas celui-là . Car son premier amour déjà , sa maîtresse cachée, sa Camilla Parker-Bowles, c’était l’Art américain.
Serait-ce que conformément à un stéréotype répandu, Alfred Pacquement, en bon aristocrate protestant français, n’éprouverait que mépris rationnel pour les gauloiseries cisalpines souillées d’iconolâtrie ? Toujours est-il que durant sa longue carrière de haut-fonctionnaire français il n’a été l’auteur que de deux monographies. L’une consacrée au peintre américain abstrait Franck Stella, et l’autre au sculpteur américain abstrait Richard Serra.
Ceci s’explique peut-être par cela, que mon ami Christophe Blaser, conservateur au Musée de l’Elysée à Lausanne, et cité par Mark Alizart dans un texte consacré à l’art contemporain et le protestantisme, résume mieux que je ne saurais le faire.(2)
«On peut raisonnablement émettre l’hypothèse que l’art contemporain soit l’aboutissement de l’esthétique protestante, étant donné le poids de l’Amérique du Nord dans la peinture et la sculpture depuis 1945. La géopolitique du christianisme se verrait reconsidérée à la lumière de l’histoire de l’art d’après-guerre, de nouvelles lignes de force étant mises en évidence. Elle ferait apparaître une hégémonie protestante dont l’art contemporain serait le relais — pour ne pas dire le fer de lance — avec pour corollaire une vaste sphère d’influence administrée par l’art minimal et l’art conceptuel; des avant-postes tenus par l’art cinétique et supports/surfaces; et des zones tampons occupées par l’hyperréalisme et l’Arte povera. Elle dessinerait sous nos yeux les contours d’un redéploiement dont on ne soupçonnait pas l’ampleur, habitués que nous sommes au spectacle d’un catholicisme par tradition plus protéiforme que le protestantisme.»
La corrélation hasardée ici — et pis, dans un but critique — entre une relevance socio-religieuse particulière et ses répercutions éventuelles sur la politique d’un homme-institution ne manquera pas, comme de juste, d’affoler quelques bons esprits français. Mais, comme le faisait observer très récemment le journaliste du Figaro Alain Gérard Slama, si «le politiquement correct, c’est la peur d’offenser en autrui son identité définie par son appartenance», les plus américanophiles de mes contradicteurs m’accorderont que l’utilisation d’un tel prisme de lecture à l’analyse d’un sujet est ici (aux États-Unis, la patrie du free-speech) chose non seulement fréquente, mais banale dans le débat intellectuel et plus encore politique.
(Au passage, il est à noter que la géographie sociale et mentale de l’aristocratie prostestante française — ou Hsp, Haute Société Protestante — ne saurait se confondre avec celle du protestantisme réel. Son territoire mythique, qui s’étend ainsi du Mialet en basses Cévennes à Boston, via Genève, Londres et Auteuil, ignore largement non seulement les humbles et estimables assemblées réformées de province, mais également et surtout le territoire effectif de ces églises baptistes et pentecotistes, pleines d’antillais et de gitans en transes, dans la banlieue parisienne ou le sud de la France, ou celui des born-again christians des mégachurchs de la bible-belt américaine. Ainsi, alors même qu’à l’instar du catholicisme et de l’islam, le protestantisme mondial contemporain présente, notamment dans sa version fondamentaliste, toutes les caractéristiques politiques et sociales d’un mouvement religieux majoritaire et conquérant, (avec au bas mot 90 millions de membres qui aux Etat-Unis ont voté massivement pour Reagan et Georges W. Bush), la Hsp française, assez intelligemment, cultive d’elle-même la représentation idéalisée d’une minorité fréquemment incomprise sinon menacée, soclée à la mémoire de la révocation de l’Edit de tolérance religieuse de 1685, qui entraina, outre sa persécution, la naissance d’une diaspora huguennote vers l’Angleterre, l’Allemagne, la Hollande puis l’Amérique. Cette mémoire est la source de ce qu’on pourrait appeler un complexe de la treizième tribu perdue d’Israël, qui amène la Hsp française d’une part, à entretenir avec l’aristocratie protestante anglo-saxonne (Wasp) des relations de révérence quasi filliales, et d’autre part, à interpréter tendanciellement toute critique à son encontre comme un acte péri-persécutoire assimilable potentiellement — l’argument m’a été opposé — à un antisémitisme).
À ce stade, tâchons pourtant de rester objectifs. Oui, Alfred Pacquement aime sûrement quelques artistes vivants œuvrant en France. Donnons lui acte par exemple qu’il exposa jadis Pierre Dunoyer et présentement Marc Desgrandchamps, deux peintres pas faciles que je respecte fort également. Mais bien qu’on en oublie, et de meilleurs sûrement, nous dirons, pour pasticher Max Weber, que l’art contemporain français et l’esprit d’Alfred Pacquement affichent après trente-cinq ans de carrière un bilan d’autant plus éthique… qu’il s’écrirait sans h.
De quoi parle-t-on? D’une action, et de ce qui la sous-tend, dans le contexte d’une mission de service public. Pour se faire comprendre, il suffira de faire une simple comparaison avec l’action de Suzanne Pagé au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, ou celle, dans la génération suivante, de Christian Bernard à la tête du Mamco à Genève et à la Villa Arson à Nice auparavant. Et immédiatement, ce qui depuis toujours, n’était que source de plaisants sous-entendus, se transforme en constat impitoyable.
Suzanne Pagé et Christian Bernard sont pourtant peu suspects de chauvinisme étroit. Mais ils n’ont jamais vu, eux, de contradiction entre la salutaire nécessité de montrer au public les meilleurs artistes américains vivants et la farouche obligation symétrique de défendre internationalement les meilleurs artistes français, en particulier les artistes les plus contemporains.
Cette ténacité que chacun — ami ou ennemi — leur reconnaît tient probablement à leurs parcours professionnels respectifs. Les fonctions qu’ils ont occupées, les succès qu’ils ont remportés étaient dus à leurs qualités professionnelles, leur énergie, leur curiosité, leur originalité, leur talent en un mot, et certes pas, si peu que ce fût, aux intérêts de classe dont ils auraient été les réservataires.
Hélas, et peut-être à cause de cela même, comme on le verra plus loin, tandis qu’en l’an 2000 la candidature incontestable de Suzanne Pagé au poste de directrice du Musée national d’Art moderne était récusée par Jean-Jacques Aillagon pour des raisons de basse politique, le vertueux Alfred Pacquement, sur recommandation surnaturelle de Catherine Trautman et de son conseiller Jean-Pierre Encrevé, était fait directeur par Lionel Jospin.
Avec l’âge, les faiblesses humaines s’accentuent. Et, un peu comme Charles faisant son coming-out avec Camilla, Alfred Pacquement prend de moins en moins de précautions pour exhiber en public son amour américain. Ainsi, tandis que Bertrand Lavier continuera vraisemblablement de n’être exposé au Mnam — dans un esprit de malveillance manifeste — que comme un épiphénomène tardif de l’art conceptuel, Beaubourg, en l’espace de quelques mois, aura accueilli en ses murs William Klein, James Turrell, David Smith, Robert Rauschenberg, Alexander Calder, Vija Celminis, une exposition sur Los Angeles, et les architectes californiens de Morphosis…!
L’éminente qualité de ces artistes américains n’étant évidemment pas à mettre en cause, pourquoi donc s’alarmer? Et où donc voulais-je en venir?
À ceci.
Affrontements Culturels
En France, en matière de politique culturelle, trois modèles s’affrontent avec plus ou moins de succès suivant les domaines considérés.
Le premier modèle est «exceptionnaliste». Plutôt franco-centré et volontiers gauchisant quoique pas uniquement, ce modèle revendique in fine protections douanières, quotas et subventions publiques au nom de la préservation d’un idéal culturel républicain et égalitaire. On trouve ce modèle fondamentalement défendu dans la revue Cassandre par exemple, mais aussi pour partie dans l’industrie musicale et cinématographique hexagonales.
Le second modèle est euro-dynamique. Il intègre une certaine dose d’exception culturelle, mais il parie essentiellement sur la consolidation d’une identité culturelle européenne. Invoquant un patrimoine humaniste commun, le modèle culturel euro-dynamique cherche à privilégier l’échange international sur des bases 1) d’excellence artistique 2) de réciprocité. Ce modèle fonctionne assez bien dans les domaines du théâtre, de la danse, et de la musique-art lyrique, et moins bien dans les arts plastiques. (Les textes fameux de Bernard Lamarche-Vadel déplorant l’incapacité française à aimer l’art allemand restent d’actualité).
Le troisième modèle est euro-atlantique et aime à se présenter comme un choix rationnel à l’horizon des grands chocs civilisationnels que prédisent des théoriciens comme Samuel Huntington.
Ce modèle raisonne moins en termes de création ou d’échanges qualitatifs qu’en termes de répartition de ressources et de flux. D’autre part, il prêche le rapprochement euro-atlantique sur un mode évidemment inégal, puisque dans sa version actuelle, ce modèle est américano-centré.
Il repose sur le postulat historique que l’Europe, sans y avoir été poussée par quiconque qu’elle même, s’est offert en moins d’un siècle le luxe barbare de deux quasi-suicides collectifs et soixante dix ans d’hémiplégie totalitaire. Et si l’Europe a été relevée du gouffre à plusieurs reprises, c’est grâce à l’aide décisive d’une Amérique libérale, démocratique… et désormais toute puissante. Prenant acte de ce que la Haute Culture classique a été incapable de préserver l’Europe du chaos, l’Amérique a pu sans complexe développer une toute autre approche dans ce domaine. Dans l’approche américaine, la création est vouée à être annexée à l’entertainment, et la néoculture à devenir un loisir consumériste de masse. (Les Å“uvres de Warhol et de Spielberg, offrent des exemples parfaitement aboutis de ce processus. Chez Spielberg, une dose de Shindler’s List ou de Munich se paient de 9 doses d’E.T. et d’Indiana Jones, chez Warhol, une dose de Car Crash ou d’Electric Chair se paient de 100 doses de Truman Capote et de Flowers.)
La réussite du modèle culturel euro-atlantique sous-entend cependant l’hégémonie de la création/production américaine. Pour cela, les pays partenaires doivent en particulier accepter de réduire significativement, voire totalement, leurs propres systèmes locaux de création/production contemporaine pour céder tout l’espace aux productions anglo-saxonnes.
Pour compenser, ces pays sont incités à réorienter massivement leurs industries de création vers le tourisme de masse et le patrimoine culturel, puisque, de toutes façons celui-ci est l’une des rares ressources dont l’Amérique manque sur son propre territoire. Rappelons ici que le concept de tourisme est une invention anglaise remontant du XIXe siècle et que le tourisme de masse est une invention américaine de l’après-guerre.
On comprend aisément que la France, phare mondial des arts et des lettres jusqu’à sa capitulation devant Hitler en 1940, soit, plus que d’autres pays, aux prises dans cette lutte entre modèles culturels. D’une part, elle n’a pas encore à ce jour renoncé à héberger une industrie de création, d’autre part elle est la première destination touristique mondiale. Avec 75 millions de visiteurs étrangers par an, le tourisme y représente 6,7 % du PIB, pour un chiffre d’affaires annuel de plus de 100 milliards d’euros. Il implique près de 200 000 entreprises et 2 millions d’emplois directs et indirects (plus que les emplois cumulés de l’agriculture et de l’automobile). Le solde positif de la balance des paiements du secteur avoisine les 12 milliards d’euros.
Autant dire qu’avec une gauche en panne depuis le 21 avril 2002, et plus encore un élan européen gelé depuis le référendum du 25 mai 2005, les partisans du rapprochement culturel euro-atlantique dont le pragmatisme est le moindre défaut, ne rencontrent actuellement que peu de contradicteurs (et notamment pas un Jacques Chirac en fin de règne politique, européen d’opportunité mais américanophile foncier; qui se moque pas mal de laisser les chantiers français et européens en ruine derrière lui, mais qui ne voudrait à aucun prix quitter la scène du pouvoir irréconcillié avec les Etats-Unis).
Certes le tropisme euro-atlantique ne date pas d’hier et n’est pas l’apanage de la droite. Qui se rappelle encore du rôle décisif joué par Laurent Fabius, alors premier ministre, en faveur de l’établissement du parc EuroDisney à Marne-la-Vallée, devenu désormais le premier point de destination touristique en Europe? Qui se souvient que la mutation en attractions touristiques de masse des deux vaisseaux amiraux du patrimoine artistique français que sont le Musée national d’Art moderne et le Louvre fut confiée à deux architectes, dont le premier, Sir Richard Rogers, bien qu’associé à Renzo Piano, était anglais, c’est-à -dire anglo-saxon, et l’autre, Ieoh Ming Pei, bien que d’origine chinoise, était américain?
Toujours est-il qu’on est passé, en trois décennies en France, d’une logique patrimoniale héritée de la Révolution française à une dynamique d’offre touristique globale héritée du marketing anglo-saxon selon lequel le client est roi. Ce que la spécialiste du tourisme culturel Claude Origet de Cluzeau désigne sous le terme de «mise en tourisme de la culture», appelant par conséquent de ses vœux le développement dans les monuments et les musées «de techniques d’interprétation mises au point dans les parcs naturels canadiens», tout en déplorant les réticences des conservateurs de musée, garants historiques d’une interprétation plus classique.
Pourtant Mme Origet de Cluzeau aurait de quoi se féliciter. Le Louvre, dans un communiqué triomphal du début 2006, a annoncé avoir battu en 2005 son record historique de fréquentation avec 7,3 millions de visiteurs dont deux tiers d’étrangers. En privé, les administrateurs avouent se préparer à en recevoir 10 millions dans un avenir proche… suite au roman américain Da Vinci Code! Ceux-ci ont d’ailleurs fait tout leur possible pour qu’une avant-première du film éponyme puisse avoir lieu dans les murs mêmes du musée! Et afin que les touristes américains qui afflueront au Louvre sur les traces du film ne soient pas trop désorientés dans cet environnement qui, malgré tout, reste assez français, la conservatrice Marie-Laure Bernadac a eu soin de faire inviter l’artiste américain Mike Kelley (que j’admire immensément, là n’est pas la question) à intervenir dans la salle de la Maquette du musée. Tout ceci est sans doute excellent.
(Mais à ce train là , gageons qu’il n’y aura bientôt plus guère de choix, pour diriger les grands établissements français, que d’engager des managers issus d’H.e.c. ou de chez Disney…).
En attendant, et profitant de ce que leurs tutelles politiques sont fragiles ou instables, certains directeurs donnent la fâcheuse impression de se comporter comme des barons en leur fief. Ainsi fallut-il, qu’en sa bonne ville de Metz, monsieur Aillagon (encore lui) se fit construire un Beaubourg-icule.
De fait, les grands responsables institutionnels français sont obnubilés par deux modèles muséaux: le Moma et le Guggenheim. Le Moma a réussi cette performance extraordinaire à leurs yeux, de doubler sa surface totale tout en n’augmentant ses espaces d’exposition proprement dits que de 10%, cependant que la fréquentation du public grimpait en flèche malgré le triplement du prix du billet d’entrée (de 8 à 20 $)!!!
Quant à la fondation Guggenheim, sa politique planétaire de multiplication de succursales à Las Vegas, Bilbao, Venise, Berlin, ou Hong-Kong fait fantasmer les présidents de Beaubourg. Au point qu’après avoir concouru pour le futur musée de Hong-Kong, contre le Guggenheim, en s’adossant initialement à un groupe de casinos chinois (Art in America, déc.. 2005), Beaubourg a finalement noué alliance avec le Guggenheim, pour présenter un projet de musée en commun ! Il est vrai que le Guggenheim possède un savoir-faire commercial, tandis que Beaubourg, qui n’en possède aucun, détient un patrimoine qui manque cruellement au Guggenheim (Pompidou possède 56 644 œuvres dont 8 174 peinture et sculptures, contre seulement 7 569 œuvres dont 2 983 peintures et sculptures pour le Guggenheim).
Ainsi fonctionne l’oligarchie française. Incapable de créer les conditions nécessaires pour conserver la fondation Pinault sur le territoire national, mais qui joue à se faire croire qu’elle pourrait, à l’extérieur, faire jeu égal avec les grandes fondations américaines.
Voici donc comment pourrait se résumer la nouvelle doctrine de la politique culturelle: importer toujours plus de touristes en France grâce à un patrimoine culturel et artistique optimisé. S’arrimer aveuglément aux Usa pour la définition des contenus et les méthodes d’exploitation du patrimoine artistique et, pourquoi pas tant qu’à faire, délocaliser ici ou là une partie du patrimoine national surnuméraire contre une dose massive d’expositions d’art américain dans les musées français, et en échange de fonds américains qui permettront (ouf!) de financer des antennes de Beaubourg en Asie, ou pourquoi pas, à Orlando en Floride.
Le Louvre de son côté, et dans la plus totale opacité, mais non sans remous depuis que l’affaire a fuité sur internet, s’est lancé dans une série de prêts à long terme de 800 œuvres au musée d’Atlanta, et vient d’inaugurer à Paris une «saison américaine» qui n’a rien à envier à celle de Beaubourg. (Le New-York Times ne s’est d’ailleurs pas trompé sur les termes réels de cet «échange», qui titrait le 13 avril: «The Louvre and America Plan Exchange of Artwork»).
Que celui qui dans ces imbroglios aura détecté où se cache l’intérêt collectif de la France et de l’Europe n’hésite toutefois pas à nous écrire.
En fait, au delà de l’anglo-saxomanie congénitale de certains d’entre-eux, l’horizon épique des nouveaux seigneurs de la guerre culturels français se résume classiquement: au gré de leurs intérêts, nouer alliance avec les plus forts — c’est à dire les plus riches — milliardaires texans, casinotiers chinois ou princes saoudiens. (Ou à la rigueur français. Monsieur Aillagon (toujours lui), à peine remercié de ses médiocres et loyaux services ministériels par son suzerain Chirac, s’en vint ainsi, tout ulcéré, mettre sa lance au service du seigneur Pinault d’Artemis pour diriger, en la cité de Venise, la fondation d’ycelui, qu’en l’Isle Seguin et sous son maître précédent il n’avait cependant rien fait pour soutenir).
Bien sûr, il y aurait matière à débattre plus profondément, voire plus durement, des différentes stratégies possibles en matière culturelle.
Ainsi on peut être totalement opposé à certains choix au nom de valeurs alterculturelles radicales.
Mais on peut également, comme moi, bien que profondément pro-européen fédéraliste et partisan sans complexe de la scène artistique française, être un admirateur convaincu de l’art américain (ainsi qu’un simple coup d’œil à mon œuvre via Google permet de le vérifier).
Au pire — pourquoi pas — on peut être ultra-libéral et aveuglément pro-américain comme Guy Sorman ou Nicolas Sarkosy, de même que fort légitimement, les affinités culturelles, sociales, politiques historiques ou religieuses d’une personne permettent d’expliquer beaucoup de choses.
Mais quand on est en charge d’une mission de service public, c’est une trahison de l’intérêt général que de calquer son action sur son seul goût particulier.
Transposé dans un autre secteur, il serait amusant d’imaginer par exemple la réaction de la famille Peugeot si le Pdg de Psa, Jean-Martin Folz, consacrait l’essentiel de ses voyages outre-Atlantique à courtiser publiquement l’état-major de General Motors, tandis qu’à Paris ou lors des salons automobiles internationaux, il veillerait soigneusement à ce que Peugeot et Citroën ne promeuvent exclusivement que leurs modèles d’entrée de gamme pour ne pas froisser ses concurrents admirés.
Mais la question du modèle culturel français fait-elle seulement débat actuellement? Et qui décide de quoi en dernier ressort? Force est d’admettre que ceux qui parlent le plus sont ceux qui sont le moins en position d’agir, tandis que les autres pratiquent en toute opacité la politique du fait accompli à l’abri de l’arbitraire présidentiel chiraquien.
Le seul point que la petite histoire élucidera peut-être, c’est de savoir si c’est Alfred Pacquement qui a converti Bruno Racine à la religion américaine, ou si c’est Bruno Racine qui froidement exploite l’américanomanie d’Alfred Pacquement et son réseau pour accéder aux ressources financières dont il a besoin pour réaliser les projets immobiliers mondiaux de Beaubourg, via une fondation de droit américain rien moins qu’opaque.
Une seule chose est claire. La programmation américaine de Beaubourg (et celle du Louvre) n’est pas seulement un signe de capitulation sans conditions adressé par la France aux institutions muséales américaines, c’est aussi un acte aux conséquences politiques lourdes sur le plan intérieur qui met de facto la scène française en situation de ravaler toute prétention internationale pour la création contemporaine.
C’est un prix assez élevé, car il hypothèque à la fois le présent et l’avenir. De plus cette conversion américaine massive explose juste au moment où le gouvernement, de son côté, souhaiterait voir se renforcer la visibilité de la scène française contemporaine autour des nouveaux centres de gravité que sont le Palais de Tokyo et le Grand Palais. Mais qu’est-ce que la volonté d’un Premier ministre foutraque en sursis face au pouvoir des barons de l’institution culturelle, puisque, de toute éternité, l’État c’est eux! Et le maintient sous le boisseau du prix Marcel Duchamp quoique relativement anecdotique, est donc parfaitement symptomatique de cet ample mouvement antagoniste3.
En présence de ses amis américains, on imagine qu’Alfred Pacquement n’éprouve pourtant pas la moindre difficulté à respecter tacitement les clauses léonines du deal euro-atlantique «patrimoine contre création» évoqué plus haut. Car, ce qui pour un observateur extérieur pourrait s’analyser comme une forfaiture morale, se traduit, entre gens de même caste, par l’expression typiquement anglo-saxonne de gentlemen agreement. Et justement, Alfred Pacquement est un vrai gentleman d’appellation et d’origine contrôlable.
(A l’instar de pseudo-dieux, les gentlemen s’imaginent invulnérables, voire éternels, certains d’entre eux finissent d’ailleurs immortels, encore que verdâtres, sous une coupole. Mais bien qu’ils visent l’éternité ils n’ont point de lendemain. Fantômes poudrés occupant un perpétuel présent bien à eux — qui n’est que le passé des autres — ils ne sont vivants que Denon. Mais, comme ils ne se sentent qu’entre eux, ils commettent parfois l’erreur de croire que leur merde ne sent pas).
Dans le contexte actuel, le communiqué publié par le Centre Pompidou lors du prix Marcel Duchamp 2002, et toujours accessible sur internet, apparaît rétrospectivement comme un beau morceau de cynisme. Ce communiqué claironnait le «niveau d’exigence élevée de ce prix qui aura, […] très bientôt, la même notoriété que le Turner Prize».
Le pari eût été imaginable, si du moins il s’était trouvé à la tête de Beaubourg une personnalité comparable à celle qui dirige la Tate Gallery. Mais à Londres, ils ont Nicolas Serotta, tandis qu’à Paris, c’est raté. Et pour cause. Si, en effet, le prix Marcel Duchamp obtenait soudainement la même notoriété que le Turner Prize, cela mettrait alors Alfred Pacquement dans l’obligation intenable pour lui de se faire internationalement le champion français, d’un certain art contemporain qui semble le révulser, lui et ses excellents amis.
Lutte
Ce qui n’était jusque-là qu’un combat feutré devient donc lutte ouverte.
Lutte politique d’abord. L’Europe est désormais, en termes démographiques, industriels, patrimoniaux et culturels, plus puissante que les États-Unis. Dans ce contexte, serait-ce utopique de réclamer que dorénavant on cesse de programmer la politique culturelle des musées avec une carte perforée qui daterait de la guerre froide? Et quitte à favoriser des rapprochements transatlantiques, que ceux-ci s’opèrent sur un pied d’égalité de réciprocité et non suivant la pente de la plus grossière vassalité?
Au lieu de mettre honteusement en location des pans de patrimoine à Atlanta ou Hong-Kong pour le prix d’une obole, ne serait-on pas mieux inspiré de se rapprocher de Dresde, Rome, Londres, Madrid, Budapest, Düsseldorf, Copenhague, voire Istanbul ou Jérusalem?
Ceci évidemment n’a que très peu de chances de se produire tant qu’à la tête des grandes institutions françaises régneront des personnalités retardataires qui préféreraient encore se faire naturaliser ougandais plutôt que de renoncer à aller se faire flatter l’échine une fois par mois sur Park Avenue par Philippe de Montebello, le directeur du Met, Glenn Lowry, le directeur du Moma ou Thomas Krenz, le président du Guggenheim.
Lutte artistique ensuite: est-ce que tout style esthétique (le mien, celui de Kader Attia ou de Gilles Barbier, mais on pourrait aussi mentionner, sans même remonter jusqu’à Reyberolle, certaines peintures de Vincent Corpet ou Daniel Schlier) qui excéderait les normes admissibles dans une salle d’attente de cabinet médical du VIIe arrondissement de Paris peut avoir, en France, droit de cité du vivant de son auteur, si ce dernier est de nationalité française? Ou, s’il n’est pas Allemand comme Martin Kippenberger, Américain comme Jim Shaw, Anglais comme les Chapman, Chinois comme Wang Du, Suisse comme Thomas Hirschhorn ou Olaf Breuning, Batave comme Jop Van Lieshout, Belge comme Wim Delvoye, Italien comme Gianni Motti, un artiste en France n’a-t-il d’autre choix qu’entre se laisser vasarelyser ou marginaliser?
Lutte idéologique encore: dans ma pièce présentée au prix Marcel Duchamp, j’ai osé profaner sculpturalement deux vaches sacrées du paysage intellectuel français, Jean Baudrillard et Paul Virillio. Verdict: silence. Pas un mot ou pratiquement. Je ne vais pourtant pas jouer les martyrs, vu qu’il y a déjà eu un précédent tout aussi intéressant.
En 2004, un jeune sociologue normalien publiait aux éditions Cavatines un court pamphlet intitulé «Bonjour… Jean Baudrillard – Jean Baudrillard sans simulacre». Le texte, citations à l’appui, décortiquait le racisme, le sexisme et l’homophobie évidents dans la pensée de Baudrillard. Mais les rapports de forces idéologiques sont d’une telle disproportion à Paris, que l’ouvrage n’a été rapporté que par les Inrocks et Artpress et un bref entrefilet dans le Canard Enchaîné. L’auteur lui-même avait jugé plus prudent de publier sous le pseudonyme de Thomas Florian. Ainsi qu’il me le confiait récemment, son «livre a été entouré de silence (…) globalement, les baudrillardiens ont fait en sorte qu’on n’en parle pas».
(Au lieu d’égratigner deux sous-papes de l’intelligentsia française, j’eusse sans doute été mieux inspiré, comme Maurizio Cattelan, d’écrabouiller stupidement une figure de vrai pape. Ou celle du Rabbi Shneerson… non d’accord, pas le Rabbi Shneerson, ni aucun autre rabbin, d’accord! d’accord !! Alors disons l’Ayatollah Khamenei peut-être? Non plus malheureux! Et un président de la République français? Comme Jota Castro avec Bush, Blair et Chirac… Un Chirac en plus, j’en ai déjà fait un. Oui. Censuré! Il va falloir se faire une raison. Un artiste, s’il est français, ne doit RIEN critiquer mais s’efforcer de faire de la peinture, de la sculpture ou de la vidéo… presque abstraites.)
Lutte des classes enfin: est-il possible, si l’on n’est pas issu du système des écoles d’art, mais artiste autodidacte, plombier de formation par exemple, et fils d’un pacifiste incarcéré plusieurs années dans les prisons françaises pendant la guerre d’Algérie d’être non pas reçu, certes, mais juste respecté par une caste de droit divin qui ne croit aux vertus de l’excellence et de la démocratie que pour autant que celles-ci ne menacent pas ses intérêts dynastiques?
(Et je me souviens de Maurice Pialat au Festival de Cannes en 1987 le poing brandi : «Vous ne m’aimez pas beaucoup, hein?…»).
Quand je parle de lutte, je serais du reste mieux avisé d’employer le terme de guerre. En effet, face à ma simple plume de clown et mes figures de scotch et de papier froissé, une (très) petite société s’est paraît-il mise en ordre de bataille pour sonner l’hallali. («hallali»: terme de chasse à courre, qui en coranique se prononce fatwa).
En deux temps, trois dîners — mais en toute vertu naturellement — elle a juré de m’ostraciser «jusqu’après ma mort» s’est-on laissé dire. Mes galeristes font l’objet d’amicales pressions pour qu’ils se séparent de moi. Des coups de téléphones sont passés opportunément vers l’étranger. Enfin, à ceux qui possèdent de mes œuvres, on conseille de s’en débarrasser publiquement pour ne pas subir l’exclusion sociale qui sera infligée à quiconque me soutiendra désormais en France.
Même mes amis sont inquiets pour moi. Ils m’assurent que cette fois je m’attaque à «quelque chose de trop gros», n’ayant pas d’autres mots pour le nommer. Tout simplement parce que le terme — sinon la chose — est tombé en désuétude: la féodalité.
Mais des États-Unis où je séjourne, le point de vue est assez différent.
À bonne distance
D’ici en effet, la France est volontiers perçue comme un merveilleux pays, malheureusement handicapé par une classe politique gérontocratique aux mœurs monarchiques qui prospère selon des rythmes hémi-séculaires. (Pour avoir une idée de ce que ça donne à une certaine distance, imaginons ce qui ici est inimaginable justement: que l’actuel président américain Georges W. Bush aurait été ministre depuis l’époque de Lyndon Johnson (comme Chirac) et que son prédécesseur immédiat, Clinton, aurait été ministre, lui, depuis Roosevelt (comme Mitterrand)).
Un de ces pays où si, historiquement, la bourgeoisie fut «la seule classe révolutionnaire qui ait jamais vaincu», pour reprendre l’expression de Guy Debord (La s.d.s, § 87), celle-ci, aujourd’hui incapable d’insuffler au pays le vent de la modernité, ne fait plus que gérer ses acquis aux dépens de ceux qui n’ont rien.
Un pays où les gens cultivent une trop haute idée d’eux-mêmes pour se croire obligés de travailler, sinon plus dur, en tous cas différemment, malgré la pression générale de la mondialisation.
Un pays refoulant mal sa puissance coloniale déchue et où, par conséquent, les jeunes d’origine arabe et africaine, victimes du mépris et du chômage massif causés par la discrimination raciale, en sont réduits à mettre le feu au pays durant des semaines pour forcer attention et respect.
Un pays où dix-huit pour cent des électeurs ont voté pour un nazi en 2002. Où le fait d’être juif peut valoir, en cas de rapt crapuleux, la circonstance aggravante d’être torturé avec barbarie au fond d’une cave avant d’être assassiné. Et où, même mort et enterré, être juif de France ne vous épargnera éventuellement pas d’avoir votre sépulture profanée comme en Alsace, ou votre dépouille déterrée et empalée, comme à Carpentras. Un pays en réalité obscurément antisémite au sens où une majorité de la société française persiste à n’interpréter ces faits que comme une série d’incidents condamnables mais non comme un trait de société substantiel.
Voilà comment, froidement et tristement, la France est perçue de là où je me trouve.
On me prévient donc que je m’attaque à «quelque chose de trop gros»? Mais rapportée aux problèmes qui minent la société française dans son ensemble, cette «chose» — comme le sujet de ce texte d’ailleurs — reste dérisoire. Et le monde est vaste.
Pour se consoler de façon iréniste on peut se dire qu’en 2007 on votera. Oui, sans aucun doute, on votera. Et «fragor non consumor», Alfred Pacquement restera, quel que soit le résultat. N’a-t-il pas été nommé sous la gauche? — et si c’est Nicolas Sarkosy qui devient président, il ne devrait pas avoir trop de mal non plus à s’entendre avec un si grand admirateur des États-Unis, qui, en outre, vient de fustiger dans un meeting récent «l’arrogance française» en matière culturelle. De quoi même fonder les bases politiques a minima d’un programme d’action pour un ministre de la Culture de droite?
Qui sait?
Olivier Blanckart, New-York City, avril 2006.
Notes :
(1) L’ajustement réthorique de l’argument de Claude Closky: «Je vois deux façons de créer une distance critique (…). Comme artiste, je ne peux que (…)» est remarquable (ceci dit sans ironie). De prime abord le premier terme:«je vois deux façons» de l’argument semble ouvert. Mais au lieu d’utiliser une formule idiosyncrasique de type «à titre personnel», «par caractère», ou «de mon propre point de vue artistique personnel», Closky, dans le second terme de l’argument, semble vouloir, par sa profession, personnifier l’Artiste en général: «comme artiste je ne peux que», ce qui, en creux, évoque presque inévitablement d’autres variantes telles que «comme tout artiste», «comme tout bon artiste», ou «comme tout artiste véritable». Implicitement, pareille formule revient à dénier la qualité d’artiste à ceux qui «opposent un nouveau discours pour contredire les modèles», car si en-tant-qu’artiste-Closky-ne-peut-que, c’est donc que ceux qui par contraste opposent-un-nouveau-discours ne peuvent le faire que parce qu’ils ne sont pas (ou pas assez) artistes. Ils sont ainsi relégués au mieux dans le champ secondaire de l’activisme, de la politique, de la contestation, voire de la caricature. Dans le contexte très compétitif du prix Marcel Duchamp tel qu’il se présentait dans l’édition 2005, cette citation d’apparence anodine était donc un message décisif tactiquement adressé au jury.
(2) Mark Alizart: «Je veux montrer à quoi ressemble Düsseldorf dans cette couleur verte.»
Extrait de L’Allemagne, l’art contemporain et le protestantisme. Article paru dans la revue Musica Falsa.
(3) Comme si l’étouffement par Beaubourg ne suffisait pas à l’Adiaf, l’exposition «La Force de l’art», dite expo Villepin, en juin au Grand Palais, inclura une section réunissant les cinq précédents lauréats du prix Marcel Duchamp quasi-nationalisé. Les expositions du prix Marcel Duchamp, il convient de le préciser, sont depuis des années «commissionnées» par un certain Jean-Marc Prévot… inspecteur de la création à la Délégation aux Arts Plastiques au ministère de la Culture de son état. Mais il est vrai que dans confusion il y a …. fusion!
Traducciòn española : Santiago Borja