Grecs et Romains avaient perçu très tôt l’intérêt d’inclure les disciplines artistiques dans leurs écoles. Musique, danse, théâtre, poésie… occupaient une place prépondérante dans la formation des jeunes élèves.
L’époque médiévale, pas plus que la fin de l’Ancien régime ne permettront la généralisation de l’enseignement. Il faudra attendre la IIIe République et l’adoption de lois instituant l’école obligatoire pour que le système éducatif français se formalise et se développe réellement.
Il est marqué par des particularités propres à notre pays : le développement de l’éducation populaire dont certains attribueraient les prémices à Condorcet en 1792, la création d’un ministère de la Culture en 1959 marquant une séparation entre éducation artistique et culturelle et les enseignements artistiques.
Ce système, tout en reconnaissant la valeur des disciplines artistiques dans le développement de la personnalité de tout individu s’est recentré, au fil des ans, autour de matières jugées plus fondamentales. C’est ainsi qu’au cours de la scolarité l’éveil artistique qui occupe une large part du temps des jeunes enfants à l’école maternelle, se limite à trois heures obligatoires à l’école élémentaire. Au collège, l’enseignement musical et les arts plastiques, réduits à deux heures hebdomadaires, deviennent optionnels au lycée.
Cette évolution s’est toutefois accompagnée d’une ouverture de l’école sur son environnement grâce, d’une part, aux lois de décentralisation qui ont confié aux collectivités locales certaines compétences concernant les établissements scolaires et, d’autre part, à l’adoption en 1988 d’une loi ambitieuse sur les enseignements artistiques qui permettait notamment la création de passerelles entre le ministère de l’Education nationale et celui de la Culture. Cette loi s’inscrit dans la logique du protocole conclu dès 1983 entre ces deux ministères.
L’ouverture montre malheureusement ses limites.
— A l’école primaire le professeur des écoles n’est pas toujours en capacité d’assurer ces enseignements et toutes les collectivités n’ont pas les moyens ou la volonté d’apporter leur soutien, même si certaines municipalités ont mis en place des dispositifs remarquables qu’il convient de souligner et d’encourager comme à Paris, Epinal, Clermont-Ferrand, Fontenay-aux-Roses, Marcoussis ou Amilly.
— Au collège et au lycée, l’enseignement est dispensé par des professeurs titulaires d’un CAPES, voire d’une agrégation, mais la minceur des horaires, le manque de matériel et de locaux adaptés, de même que la pédagogie trop centrée sur les aspects théoriques, ne contribuent pas à conférer à ces disciplines le rang qui devrait être le leur.
Pourtant, depuis une trentaine d’années, un foisonnement d’initiatives mérite d’être signalé permettant aux élèves, collégiens, voire lycéens de bénéficier de l’apport d’intervenants extérieurs notamment artistes et personnes du monde de la culture. Plusieurs formules différentes existent, dont les plus nombreuses sont les classes de patrimoines, les classes à projet artistique et culturel (PAC), les classes à horaire aménagé musicales (CHAM)…
Un protocole conclu entre M. Jack Lang, ministre en charge de l’Education nationale, et Mme Catherine Tasca, ministre en charge de la Culture, a permis l’établissement, en 2000, d’un plan ambitieux de cinq ans de développement de ces enseignements. Malheureusement, l’avenir de ce plan n’est pas assuré. Aujourd’hui un constat s’impose : les enseignements artistiques sont souvent relégués à un rôle subalterne.
Pourtant, les qualités qu’ils développent : la sensibilité, l’imagination, la créativité sont à la source de l’innovation, les rendant tout aussi indispensables au dynamisme d’une société moderne que les sciences physiques ou les mathématiques…
En outre, est en passe de se développer une inégalité dans l’accès à ces enseignements entre les enfants appartenant à des collectivités qui s’investissent dans ces formations et ceux habitant dans des collectivités qui ne le peuvent ou ne le souhaitent pas.
L’égalité républicaine voulue par l’Ecole trouve ici ses limites même si, il faut le rappeler, les collectivités locales, directement ou par le biais d’associations qui ont souvent joué ici un rôle de précurseur et d’entraînement, accomplissent un travail remarquable.
Forte de ce constat, notre Assemblée formule, dans un souci d’égalité d’accès, de rationalisation et d’optimisation des dispositifs existants, des propositions visant à assurer la démocratisation de la culture par une meilleure synergie entre les partenaires concernés. Ces propositions s’articulent autour de deux axes :
— développer quantitativement et qualitativement les disciplines artistiques à l’école;
— encourager les partenariats avec l’environnement scolaire.
LES PROPOSITIONS
1. Renforcer l’enseignement des disciplines artistiques à l’école
Tous les cycles scolaires ne bénéficient pas d’un traitement identique de ces matières, et chacun des niveaux nécessite des mesures adaptées. Cependant, afin de développer ces enseignements sans alourdir les horaires scolaires, l’interdisciplinarité devra être systématiquement recherchée dans tous les cycles.
A— A l’école primaire
Elle comprend l’école maternelle et l’école élémentaire.
Notre assemblée souhaite que l’éveil artistique pratiqué à l’école maternelle de façon très satisfaisante soit poursuivi et que les professeurs des écoles qui le dispensent voient leur formation renforcée.
Il conviendrait de diversifier les pratiques artistiques et d’organiser une classe à PAC dans chacun des trois cycles du primaire permettant l’ouverture au monde des arts et de la culture, la rencontre avec des artistes et des œuvres.
Un accroissement du temps dévolu aux enseignements artistiques est nécessaire et une évaluation des acquis devrait intervenir comme pour les autres disciplines au moment de l’entrée en sixième.
Le Conseil économique et social, afin de pallier les insuffisances liées à la polyvalence disciplinaire des professeurs des écoles, préconise la création d’une fonction de professeur des écoles-maître des arts.
Cet enseignant doté d’une formation appropriée sur une gamme très étendue de disciplines artistiques serait à la fois éveilleur à l’art et à la culture, interface entre l’école et son environnement culturel et enfin organisateur de projets.
La mise en place des écoles en réseaux devrait permettre à un plus grand nombre d’établissements de bénéficier de cette nouvelle fonction.
Des classes à horaires aménagés telles que les CHAM, dédiées aujourd’hui à la musique et à la danse, devraient être étendues à d’autres disciplines et proposées à tous les niveaux de la scolarité jusqu’en classe terminale.
Afin d’éviter la critique d’élitisme attachée aux classes CHAM, il conviendrait de mettre en place un système de bourses pour aider les familles les plus modestes à s’acquitter des coûts d’inscription dans les conservatoires associés à ces formations et chargés de dispenser les apprentissages pratiques. Fonctionnant sur le même principe, un établissement à horaires alternés, du type « collège Rognoni » à Paris, devrait être créé dans chaque département.
B— Au collège
Notre Assemblée souhaite regrouper les deux heures obligatoires dédiées aux enseignements artistiques sur une seule discipline choisie sur un panel plus large incluant notamment le théâtre et l’expression orale, art dramatique à côté des arts plastiques/arts visuels et de l’éducation musicale/art du son. De même, la danse devrait trouver sa place dans le cadre de l’éducation physique.
Les ateliers de pratique artistique et d’action culturelle permettent aux enfants de valoriser leurs qualités dans le cadre d’un travail collectif. Ils sont aussi des occasions privilégiées de partenariat avec les collectivités locales, les associations, le ministère de la Culture…
C’est pourquoi le Conseil économique et social demande la généralisation de ces ateliers. Deux heures hebdomadaires obligatoires devraient leur être consacrées, permettant aussi bien l’accueil d’intervenants extérieurs (artistes, représentants du monde de la culture…) que les visites ou activités en dehors de l’établissement (restauration d’un monument historique, fouilles…).
Afin de valoriser l’enseignement des disciplines artistiques, notre Assemblée demande leur inscription parmi les épreuves du brevet des collèges. Leur évaluation en contrôle continu ne retiendrait pour l’examen que les points obtenus au-dessus de la moyenne.
C— Au lycée
Comme pour le collège, le Conseil économique et social suggère :
— d’une part, de remplacer le système actuel des options par un horaire obligatoire (deux heures) concentré sur une seule discipline choisie parmi un panel assez large ;
— d’autre part, d’inscrire cette discipline parmi les épreuves du baccalauréat avec une valorisation identique à celle préconisée pour le brevet des collèges.
Notre assemblée propose de diversifier les filières d’accès à l’enseignement des disciplines artistiques en permettant aux titulaires du CAPES ou de l’agrégation de n’importe quelle matière de pouvoir enseigner une discipline artistique en obtenant un certificat complémentaire en musique, danse, arts plastiques.
Un système d’équivalence avec les diplômes délivrés par les écoles d’art agréées pourrait être mis en place.
2. Encourager les partenariats
Notre assemblée considère que le développement des disciplines artistiques ne pourra se faire sans une mise en synergie de divers partenaires, notamment les ministères de l’Education nationale, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, des collectivités locales et le monde associatif.
Dans ce cadre, les collectivités locales pourraient en particulier apporter leur concours en matière d’équipement de locaux, de dotations de matériels et d’instruments de musique mais aussi par une réservation de places gratuites dans les théâtres, salles de concert….
Quant aux établissements culturels, leur participation pourrait se traduire par un accroissement de leur offre culturelle. C’est ainsi qu’ils pourraient développer une politique tarifaire en faveur des jeunes, la vente pour une somme modique des places disponibles, quinze minutes avant le début de la séance, permettrait à de nombreux jeunes d’accéder à la culture. Les entreprises de spectacles privées pourraient adopter des pratiques similaires.
Les caisses d’allocations familiales et la Mutualité sociale agricole pourraient aussi faciliter l’accès à la culture notamment des jeunes enfants en délivrant au parent accompagnateur d’enfants des chèques culture.
Le Conseil économique et social considérant que les musées disposent de réserves importantes d’œuvres d’art jamais exposées, il conviendrait d’utiliser les établissements scolaires pour en faire connaître certaines, de façon itinérante ou plus pérenne.
Enfin les institutions culturelles et audiovisuelles subventionnées pourraient être plus étroitement associées à l’œuvre éducative en créant obligatoirement en leur sein des départements ou services pédagogiques destinés à l’accueil des jeunes pour les sensibiliser au monde de la création.
Notre Assemblée estime qu’une bonne traduction de la mise en synergie des différents acteurs concourant au développement des disciplines artistiques pourrait se traduire par l’organisation chaque année d’une manifestation artistique par établissement scolaire. Cette manifestation sur un thème qui pourrait être choisi parmi ceux fondant notre culture commune pourrait dans un esprit de transversalité associer les différentes classes et les différentes disciplines de l’établissement.
L’école, creuset de l’égalité républicaine entre tous les enfants, doit rester le lieu privilégié de tous les apprentissages, sans hiérarchie entre les disciplines car toutes concourent à la formation et à l’épanouissement de la personne. La nécessaire synergie entre ministères doit s’inscrire dans la décentralisation avec le concours de la société civile.
Assemblée plénière des 10 et 11 février 2004
Jean-Marcel Bichat
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