Boris Mikhailov
Salt Lake
En 1986, Boris Mikhailov se rend sur les berges d’un lac au sud de l’Ukraine. Son père, habitant la région dans les années 1920, s’en souvient comme d’un lieu très fréquenté par la population locale, persuadée des vertus thérapeutiques de ses eaux chaudes et salées.
Le photographe, curieux de voir si cet endroit existe toujours, y découvre que les habitudes n’ont pas changé mais que le lac est désormais cerné par les cheminées d’usines et les entrepôts en briques aux tuyaux de taille industrielle qui y déversent leurs eaux usées.
Tout au long de l’année, les familles se rassemblent sur le rivage et, vu de l’extérieur, on pourrait croire à un Baden-Baden soviétique. L’une après l’autre, Boris Mikhailov capture clandestinement ces scènes étranges, nous donnant à observer une population insouciante se baignant dans ces eaux troubles, indifférente au paysage chaotique alentour. Les hommes trapus et les femmes en bikinis se prélassent, et profitent allégrement du moment présent.
Le calme qui se dégage de cette série en devient l’élément pictural et peut évoquer certaines photographies d’Henri Cartier-Bresson, prises au moment des premiers congés payés en France, ou encore la toile de Georges Seurat Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte.
Découvrir Salt Lake aujourd’hui engage ainsi l’observateur dans un travail de mémoire, similaire peut-être à celui que le photographe a effectué en partant sur les traces de son père, un an avant la catastrophe de Tchernobyl, et trois ans avant l’effondrement du système soviétique.
L’Histoire confère donc à cette œuvre une valeur de témoignage précieux qui démontre la justesse et la permanence du regard que Boris Mikhailov porte sur son temps.