À la lisière de la danse contemporaine et du cirque actuel se déploie le spectacle Là , de la compagnie Baro d’evel (Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias). Comme l’indique son sous-titre, Là est une « Pièce en noir et blanc pour deux humains et un corbeau pie ». Gus. Première partie d’un dytique nommé Là , sur la falaise, Là embrasse l’essentiel. Le corps, la voix, le rythme, la matière. Pièce pour trois interprètes, Gus inclus, Là pointe vers ce qui ne peut être supprimé. Grammaticalement parlant, l’adverbe ‘là ’ est un déictique : il désigne quelque chose qui ne peut être identifié qu’à partir du contexte d’énonciation. C’est un mot qui ne fait sens que s’il y a sujet. Il désigne une position, en fonction du locuteur. Et revenant aux fondements, Là explore ainsi ce qui fait la chair du moment et du mouvement : le présent.
Là de Baro d’evel : Pièce en noir et blanc pour deux humains et un corbeau pie
Mot tellement basique qu’il en paraît anodin, ‘là ’ appartient pourtant aux éléments à partir desquels le philosophe G.W.F. Hegel aura construit sa phénoménologie. Du point de vue cognitif, l’emploi de déictiques renseigne sur les liens entre conscience de l’environnement et conscience de soi. Animaux bicolores — ou incolores, car noirs et blancs —, les corbeaux pie sont conscients d’eux-mêmes et du monde. Adopté en 2013, Gus fait ainsi partie de la compagnie Baro d’Evel. En tant qu’interprète, il se distingue par son intuition, sa qualité d’écoute et de perception. Et si les oiseaux ne manquent pas de faculté d’anticipation, de projection et de mémorisation, la rencontre entre les espèces impose aussi une forme d’attention accrue au présent. Spectacle à la pointe de l’instant, Là met en scène l’exploration des impensés. Ces gestes ou réflexes faits sans y penser, mais qui n’échappent pas aux êtres sensibles comme Gus.
Entre cirque actuel et danse contemporaine : un trio poétique en quête d’essentiel
Creusant ce qu’il y a de primordial, Là s’empare de tout ce qui fait langage (saccade, spasme, cri…). Avec deux humains et un oiseau, qui composent un ballet aussi atypique que poétique. La compagnie franco-catalane, Baro d’evel n’en est pas non plus à ses premiers pas avec les animaux. Chevaux et oiseaux dansaient déjà dans le spectacle Bestias (2015). Des animaux singuliers, aux talents singuliers : Gus y était aussi interprète. Mais tandis que Bestias se déployait dans le nombre (avec huit humains, deux chevaux et six oiseaux), Là se redéploie en une forme plus essentielle. Sur une composition sonore travaillée par Fanny Thollot, la pièce explore les jeux d’équilibres et de circulation. Duo humain entre homme et femme ; duo d’espèces entre humain et oiseau ; trio vivant… Pour un dévoilement de ce qui fait la personnalité des êtres sensibles. À retrouver au festival Circa, à Auch.