Riche source d’inspiration plastique après-guerre pour les artistes «professionnels», où l’heure était alors à la transgression et à la recherche de nouvelles formes, les œuvres sans paradigme imposé des artistes «bruts» offrent aujourd’hui un nécessaire regard singulier sur la société contemporaine. En effet, si depuis longtemps les artistes contemporains n’ont plus à se libérer d’un savoir-faire, leur préoccupation actuelle pour la mise en scène des idées impose de renouveler un savoir-penser qui fonde désormais toute création.
Individus avant d’être artistes, ces créateurs «hors normes» immergés dans une société de mass média ne sont plus aujourd’hui indemnes de toute culture, selon le vœux de Dubuffet.
Spectateurs en marge d’une société qui s’impose à eux, ils en observent ou subissent les troubles et les aspérités avec le regard neuf, parce que naïf, d’un explorateur persan. Leurs œuvres traduisent alors, et sans le prisme déformant d’une pensée normalisée, une réalité dont ils se font l’écho par l’expression «brute» d’un ressenti ou d’un vécu, non conceptualisée mais propice à un renouveau du regard porté sur notre civilisation.
Pour son troisième accrochage monographique, la galerie présente une série de dessins d’Adam Nidzgorski. Réalisés avec la plus grande économie de moyens, ces dessins à la gouache, au pastel gras ou à l’encre de chine sur papier argile, chinois ou Népal représentent de façon répétitive un groupe assez similaire de personnages à la fois fragiles et inquiets semblant se porter protection mutuelle sur un fond vide et sans géographie.
Fils d’immigrés polonais né à Paris, Adam Nidzgorski est d’abord retourné à «l’étranger» dans le pays de ses racines avant de partir pour la Tunisie et finalement revenir en France, pays où il est né mais qui lui a longtemps refusé sa nationalité.
Les dessins de cet apatride philanthrope montrent l’image de visages ahuris, de regards interdits, de personnages accrochés les uns aux autres dans une attitude de protection mutuelle instinctive. Ces petits groupes non situés, comme étrangers à leur environnement, semblent regarder le spectateur avec crainte et étonnement. On croit y retrouver l’expression figée des familles de clandestins surprises dans un wagon, des sans-logis menacés d’expulsion, de tous ceux qui se découvrent exposés à un monde qui n’est pas le leur.
Ces dessins dépouillés de tout artifice traduisent alors une angoissante conscience d’ «être au monde», révélée par la solitude qui se découvre dans le regard que nous lui portons. Par ce jeu en forme de miroir, Nidzgorski dévoile au spectateur sa propre indétermination existentielle. Et dessine comme seule réponse possible à ce souci de l’étrangeté au monde une responsabilité pour Autrui qui s’impose d’elle même.
Par une fausse coïncidence, l’artiste cite plastiquement mot pour mot le philosophe : «Le sensible (maternité, vulnérabilité, appréhension) noue le nœud de l’incarnation dans une intrigue […] où je suis noué aux autres avant d’être noué à mon corps» (Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence). Ces dessins fascinent par la sincérité d’un trait forgé par la rugosité du vécu, et par l’éthique de l’altérité qu’ils incarnent. Ils se montrent en contre-exemple d’une société où le poids des masses étouffe la conscience d’être des individus et l’attention qu’ils se portent mutuellement.
Adam Nidzgorski
— Sans titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 50 x 37 cm. Gouache et encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 50 x 37 cm. Gouache et encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier chinois.
— Sans titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 50 x 37 cm. Gouache et encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 50 x 37 cm. Gouache et encre de Chine sur papier argile.
— Sans titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier chinois.
— Sans-titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier fibre.
— Sans-titre. 37 x 50 cm. Encre de Chine sur papier fibre, 37 x 50 cm.
— Sans-titre. 50 x 37 cm. Encre de Chine sur papier chinois.
— Sans-titre. 40 x 30 cm. Pastel gras.
— Sans-titre. 39 x 29 cm. Gouache et encre de Chine sur papier journal.